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Le Film, Montréal, juin 1947
— Pas du tout! fit Yves, d’une voix un peu rauque. Au contraire ! Continuez donc, je vous prie !
— Asseyons-nous donc là, au bord de l'eau... Nous prendrons notre bain après.
Ils se laissèrent tomber sur le sable humide, que venaient lécher les lames. Puis, André continua :
— N'est-ce pas que c’est drôle, toutes ces petites histoires ?... Mais, attendez: ce n’est pas fini!
« Ça allait si bon train, leur amourette, que chacun croyait vraiment à quelque chose de plus sérieux qu’un simple flirt. Beaucoup pensaient, à ce moment-là, que Lilette finirait par être comtesse de Beauray. Quoique, à vrai dire.
Il secoua la tête.
— Je ne sais vraiment si elle aurait fait une riche emplette ! Guy est parfaitement séduisant, c’est vrai, et je le crois de nobiesse authentique. Mais il lui faut une grosse fortune ... Et je crois que son blason a besoin d’être redoré... Il avait jeté ses visées sur miss Mottson, avant l’arrivée de Lilette. C'était tout à fait ce qu'il lui fallait. Mais Maggie est loin d’être aussi bien que Lilette. Savez-vous qu’elle est rudement jolie ?.
« Bref, je crois bien qu’à ce moment-là il était sérieusement pincé et l’amour faisait céder le pas à l'intérêt. Qui sait ?. Aujourd’hui, ce seraient peut-être leurs fiançailles que je vous aurais apprises, si la dame de pique n’était intervenue ..… L'autre jour, — tenez, il y a une semaine, — il a pris, au baccara, une culotte formidable : cent cinquante mille balles! Vous vous rendez compte ? ... II me l’a avoué le lendemain.
«Ça a dû porter un rude coup à son compte en banque !.. Car, à partir de ce moment-là, il a changé complètement de tactique. Plus de Lilette ! Maggie, par contre, avait reconquis toutes les faveurs. Et, hier soir, j'ai avpris leurs fiançailles. Ils l’ont annoncé à quelques intimes. Que voulez-vous, mon cher, Lilette est ravissante, mais Maggie est milliardaire ! Il faut être pratique !..
Yves ne disait rien. Mais, les mâchoires légèrement contractées, il faisait machinalement un petit tas de sable à côté de lui.
— Ce n’est pas tout ça, conclut André. Allons prendre notre bain, maintenant !
Ils se levèrent et entrèrent dans l’eau.
— Tiens ! fit André, en tournant la tête, voici Lilette qui vient nous rejoindre !
Légère et svelte comme une Diane chas
seresse, la jeune fille arrivait par bonds
souples.
— On l'attend? dit André, en voyant Yves continuer à avancer.
— Bah! fit le jeune docteur, elle saura bien nous retrouver !
Et, sans rien ajouter, il s’élança, fendant l'eau à grandes brasses vers le large.
CHAPITRE VI
vES, voulez-vous me faire passer mon béret, je vous prie ? ... Il est juste à côté de vous.
— Voilà !
— Merci !
Elle jeta un rapide coup d'œil sur lui: sans lui prêter la moindre attention, il s'était retourné vers Maryse et continuait avec elle la conversation commencée.
Toute la bande avait été excursionner dans les bois de chênes-verts et de pins
qui dominent la falaise déchiquetée de Saint-Palais. Maïntenant, étendus sur le tapis roux des aiguilles sylvestres, ils se reposaient avant de reprendre le petit tram qui les reconduirait à Royan.
Maggie et Guy n'étaient pas là. La jeune Anglaise avait entraîné son fiancé jusqu’à Biarritz. Maryse, Solange, Yves, Lilette et l’inévitable Théodore, composaient seuls le petit groupe.
Lilette était nerveuse. Depuis deux jours son camarade semblait prendre plaisir à s'afficher avec Maryse, qui, très fière de l'attention que lui accordait le jeune praticien, prenait déjà des airs de souveraine suivie par son esclave dévoué.
— Dites donc, mes enfants, prononça gravement Solange, en regardant sa montre bracelet, je crois qu’il nous faudrait songer à retourner. Voilà six heures et demie.
— À quelle heure passe le tram ? interrogea Théodore, pour dire quelque chose.
Personne ne lui répondit. Alors, il cueillit une longue herbe à panache et parut très occupé à la sucer.
Yves, d’un bond souple, s'était remis debout. Les autres l’imitèrent, sauf Maryse.
— Levez-moi, Yves! s'écria-t-elle. Sinon, je reste ici jusqu’à ce que je trouve une âme charitable !
Le jeune homme lui tendit la main. Elle s’y accrocha. D’un effort vigoureux, il la tira, si vigoureux, sans doute, qu’elle se trouva projetée contre lui.
— Aïe !... fit-elle, en éclatant de rire.
Lilette tourna le dos avec énervement.
— Quelles manières, quand même!.. grommela-t-elle. Elle est impossible !
Elle marcha devant, agacée. Qu’avait donc Yves depuis ces deux jours ? ... Elle avait envie de le battre et aussi envie de pleurer.
Ils débouchèrent soudain sur la route dorée par les derniers feux du couchant.
— La station est à cent pas, annonça Maryse. Mais dépêchons-nous, car je crois que noûs n’avons plus de tramway après celui-ci.
Soudain, Solange poussa une exclamation d'alerte :
— Le voilà! Le voilà!
Derrière eux, très loin encore, la locomotive, minuscule, balançait son panache de fumée. Le tram de Royan a beau conserver une lenteur 1900, il va tout de méme plus vite que des piétons.
— Nous allons le manquer! s’écria Maryse. Vite, vite, courons !
Les cinq jeunes gens, coudes au corps, partirent au pas de charge, en riant et en criant.
—Je n'en puis plus! souffla Maryse, exténuée. Je crois que je le rate!.
— Courage ! Allons! Nous y voilà! fit Yves, en la saisissant par un bras et en l’entraînant.
Lilette, au pas gymnastique, cheveux au vent, filait comme une flèche, Elle arriva bientôt à la station. Le petit tram y stoppait également.
— Une seconde! s’écria-t-elle au receveur qui, philosophe, regardait galoper les jeunes gens. Ils arrivent...
L’employé, heureusement, était comme le gendarme, bon enfant. Quelques minutes plus tard, toute la troupe s’entassait dans un des wagons ouverts à tous les vents.
— Dieu ! que j’ai chaud! balbutia Maryse, en portant les mains à son cœur.
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