Le Film (mai 1949)

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16 Pas un homme ne broncha. Nulle voix ne s'éleva. Tous ces braves faisaient le sacrifice de leur existence. Un éclair d’orgueil brilla dans le regard du commandant qui sur-le-champ s’écria : — À la bonne heure! Les marins du «Triton » ignorent le danger !… Et maintenant, mes amis, à la manoeuvre! «Serval, à votre poste de commandement. batterie de tribord!… Allez! Les gargousses amenées sur le pont, Daniel surveilla attentivement le chargement du premier canon, puis d’une voix vibrante, commanda le feu. Aussitôt une formidable explosion retentit, répétée par un lointain écho… et l’on perçut de déchirants cris de douleur, des gémissem=nts, mais des jurons aussi arrachés à la souffrance... On ne put se rendre compte du malheur survenu que lorsque la fumée se fût un peu dissipée : la culasse du canon venait d’exploser £<n arrière, tuant net trois des servants de la pièce, dont les corps déchiquetés jonchaient le pont de leurs atroces lambeaux. Un quatrième agonisait. Et le dernier ainsi que Daniel Serval, grièvement blessés, gisaient à terre, inanimés. Des marins, aidés de leurs officiers. se portèrent en toute hâte à leur secours et le commandant Pomeyrol, accouru l’un des premiers sur le lieu de l'accident, ordonna le transport immédiat à l'hôpital du bord. . Les exercices de tir avaient été brusquement contremandés, par ordre, et Pomeyrol, situé dans sa cabine, rédigeait la dépêche chiffrée qu'il adressait sur l’heureau Ministère, pour annoncer l’horrible catastrophe. La consternation régnait à bord du «Triton >» et à voix basse, entre eux, les marins commentaient avec une sorte de fatalisme l'événement qui venait de se dérouler sous leurs yeux. à L’enseigne Maxime d’Erlon — un camsrade de promotion de Cerval —venait de quitter le quart, quand le médecin-maijor remontant sur le pont, s’approcha de lui, en disant à mi-voix : — Dites-moi, d’Erlon.… Vous êtes un ds amis de Serval ? — Nous étions ensemble au «Borda ».… ‘ C'était l’un de mes meilleurs camarades. ‘répliqua le jeune officier. Et devant l’attitude embarrassée du docteur, il voulut demander des nouvelles du blessé. L'autre ne lui en laissa pas le temps. — Serval est perdu, grommela-t-il entre ses dents. — Oh !.. — Il en a pour une heure peut-être encore, tout au plus. — Le malheureux !… — Il demande à vous voir, à vous parler. Car j'ai eu beau lui cacher la vérité, il a deviné que c'en est fait de lui. «Je croïs qu’il a certaine recommandation à vous faire. des intentions à vous donner, in-extremis… Vous ferez bien de ne pas tarder à vous rendre à son chevet, si vous voulez qu’il puisse vous parler, avant de tomber dans le coma. — À ce point-là? interrogea encore Maxime d’Erlon, dont l'angoisse était visible. « — Je vous répète qu’il est perdu, malgré que j'aie fait l'impossible pour le sau ver. Il ne me reste plus qu’à aviser le commandant... Le jeune enseigne était un homme de taille moyenne, mais précocement voûté et que l’équipage du « Triton » avait surnommé le «Rouquin», sa chevelure et sa moustache étant d’un rouge ardent. On l’aimait peu, en général, à cause de ses allures félines, méchantes même parfois, à l'endroit de ses inférieurs. Ses yeux, d’un bleu d'acier, ne contribuaient pas pour peu, d’ailleurs, à la mauvaise impression qu’il produisait dès le premier abord. Serval et d'Erlon, malgré que leurs différents postes les aient tenus éloignés l’un de l’autre, à leur sortie de l'Ecole Navale, n’en avaient pas moins conservé de bonnes relations et Daniel, à son arrivée sur 1e «Triton», avait été heureux d'y retrouver la société de Maxime : Il était le seul officier du bord, d’ailleurs, qu’il connût et ils s'étaient sentis repris d'une nouvelle amitié, du fait même de ce rapprochement inattendu. Aussi, à peine le médecin-major eût-il annoncé à d’Erlon la gravité du mal de Serval, qu’il se rendit auprès de lui, et assis auprès de la couchette où son camarade agonisait, il s'était baissé pour mieux entendre ce que le moribond lui disait à mots entre-coupés, d’une voix lente : — Maxime balbutiait pitoyablement ce dernier écoute-moi bien Je n’en ai plus pour longtemps, je le sais. — Allons! Allons fit d'Erlon en cherchant à lui remonter le moral. ne parle donc pas comme ça! Il y en a d’autres qui sont revenus de plus loin encore, que diable !.. ‘ — Inutile de me tromp:sr, Maxime, interrompit tristement le blessé. Je suis fichu. Encore une fois, prête-moi toute ton attention Après cette effroyable catastrophe, le «Triton» va certainement regagner Toulon, ne serait-ce que pour y procéder à des réparations rendues indispensables… Tu peux demander un congé de quelques jours. Veux-tu m2 rendre un grand service, que je saurais demander... qu’à un ami ? — Mais certainement. de quoi s’agit-il ? — Voici. J’ai une cousine. Jane Hébrard.… à qui j'étais pour ainsi dire fiancé... « Secritement, toutefois, car jamais son père n’en a rien su. Il se montrait rebelle à l’idée de donner sa fille en mariage à un officier de marine. « Mais enfin, tout était bien convenu entre Jane et moi. Après ce stage de service actif à bord du « Triton » je devais reprendre mon poste au Minictère de la Marine et continu:r une lente carrière dans les bureaux… Nous pensions ainsi vaincre les préjugés de mon oncle Hébrard, et obtenir son consentement à notre union... — Bcn! je vois ce que.c’est, interrompit d'Erlon avec un sourire plein d’ironique indulgence.…. — Tu te trompes. Jane est pure comme un lys. Aucunes relations autres que celles d’un? profonde affection n’ont eu lieu entre nous... «Je lui écrivais souvent, à l’insu de son père naturellement, et nous échangions ainsi de longues, lettres, pleines du plus innocent amour... Il s'arrêta un m-m”nt, en proie à a plus vive souffrance, puis reprit bientôt : — Les ‘lettres de ma Jane aimée, je les portais toujours sur moi, depuis mon ar Le Film, Montréal, mai 1949 rivée à bord… Tiens, elles sont dans ce portefeuille-là.. sous mon oreiller. Je ne veux les confier qu’à toi, un vieux camarade. pour les remettre à elle seule. Tu m'entends bien Elle les gardera ou les brûlera, mais elles sont siennes, je les lui restitue, puisque je disparais…. — Compte sur moi, Dan. Tu peux avoir toute confiance Je me conformerai en tout point à tes volontés dernières. Daniel fit un suprême effort, il ajouta. — Son père. François Hébrard un ingénieur… «Villa des Roses», bouleva:d d'Auteuil près du Bois. Et Jane. ma Jane aimée. Tu lui diras bien que ma dernière pensée a été pour elle. pour elle !.. CHAPITRE II INSI que le pensait Daniel, le « Triton » avait bien regagné Toulon, son port d'attache, mais d’Erlon, par une cir constance toute fortuite, s'était. trouvé empêché de s'acquitter auprès de Jane Hébrard, de la mission dont son ami l’avait chargé. L’enseigne de vaisseau qui, tel Serval, était l’un des plus jeunes officiers du bord, n'avait pu bénéficier tout de suite d’un congé pour se rendre à Paris, devant céder son tour aux anciens et patienter. A Toulon, il avait retrouvé des camarades qui ne tardèrent pas à l’entraîner dans le tourbillon de la vie joyeuse et faci!e que les officiers de marine mènent dans les grandes villes maritimes. Il est bon de dire ici que Maxime d’Erlon, à l'exemple d'un grand nombre de ses collègues avait contracté la funeste habitude de se livrer aux rêves hallucinants de l’opium, la drogue fatale, habitude qui était devenue une véritable passion chez lui. Fréquentant, à terre, un milieu où existaient des goûts analogues, il ne fut pas long à retomber dans son vice favori. Les fumeries d’opium de Toulon le connurent toutes, mais au nombre de cellesci, il en était une qui l’attirait davantage encore que les autres. Elle était tenue par une demi-mondaine de marque, haut cotée dans le monde de la galanterie, où elle s'était acquis un certain renom moins encore par sa beauté que par un retentissant scandale, à la suite duquel un officier de marine — assez triste sire — qui était son ami, avait été honteusement condamné. Il s'agissait d'un vol de documents intéressant la défense nationale, et communiqués à l’agent d’une puissance étrangère. La «Belle Lisette ». — c'était le sobriquet de la jeune femme — un moment com promise dans cette affaire, parvint néanmoins à se disculper et à bénéficier d’un non-lieu. s Cette séduisante marchande de folie avait su captiver Maxime d’Erlon. Tout s’effaçait pour lui devant la double ivresse de l’amour et de ce poison d'Orient qui lentement, sûrement aussi affole et tue au milieu des visions de paradis artificiels. Le «Triton» était en rade de Toulon depuis une semaine déjà quand, un matin, le commandant Pomeyrol fit appeler l'enseigne. — D’Erlon, lui dit-il, j'ai une bonne nouvelle à vous apprendre. Vous aviez demandé un congé auquel vous aviez droit, mais qui s'est trouvé retardé, du fait que vos anciens devaient profiter du leur avant vous. Eh bien! vous allez l'obtenir plus tôt que vous n’y comptiez...