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Jane se plaisait dans cette solitude qui se prêtait si bien à l'évocation souriante du passé.
Léone avait-elle deviné le secret caché au coeur de sa compagne ? Ce sont là intuitions qui ne viennent qu'aux femmes et dont il est difficile de s'assurer. Toutefois, elle respectait le silence que Jane se plaisait souvent à garder, et ne le rompait qu'en la voyant devenir réellement par trop rêveuse.
Elle s’efforçait alors de changer le cours de ses pensées, en amenant la conversation sur de riants sujets qui faisaient diversion.
Durant ces promenades au Bois, les deux jeunes filles rencontraient assez fréquemment sur leur route, un homme qui n'avait certes point encore atteint la quarantaine, toujours très élégamment vêtu, bien que sans recherche affectée, un mystérieux promeneur solitaire qui n’avait pas manqué de les intriguer.
Grand, bien découplé, le visage tout rasé, l’inconnu portait en ses traits la marque d’une volonté bien déterminée, mais d’une excessive bonté également, le tout en frappant contraste avec son allure d’athlète.
Un étranger, à coup sûr, avaient-elles toutes deux songé, en se communiquant leurs impressions.
Dès les premières rencontres, ses yeux ,. : , r s'étaient fixés sur Jane Hébrard sans pouvoir s’en détacher, et la chose, dans la suite, s'était sans cesse renouvelée.
’ Intriguées d’abord, une curiosité bien férainine les avait poussées à savoir qui était ce solitaire qui ne s’arrêtait pas de dévisager Jane, chaque fois qu’il croisait les deux dames, sans que son regard se portât jamais sur Léone Larive. Il est bien rare que les femmes ne parviennent pas, d’une façon ou d’une autre, à satisfaire leur curiosité en éveil.
Jane et Léone arrivèrent donc à savoir que le bel inconnu — car il était fort beau garçon — était un fort riche Américain, M. William Parker, venu s'installer en France, et vivant d’une existence bien paisible, sans qu’on lui connût aucune occupation.
Il occupait au Parc des Princes, une coquette villa dont il s'était rendu acquéreur et où il avait réuni de merveilleuses collections d'art ancien.
Son personnel se réduisait à trois domestiques, un chauffeur et un jardinier pour qui il était lé bon maître rêvé, ni hautain, ni exigeant, mais aimant être bien servi.
Les deux jeunes filles, heureuses d’avoir en partie déchiré le voile du mystère, s’amusaient fort des allures silencieuses et solitaires de celui que Léone avait surnommé le «Beau Ténébreux» et Jane «l'Homme des Bois», et toutes rieuses n'avaient pas manqué de parler de lui à l'ingénieur.
Ce manège durait depuis près d’un mois déjà, quand un soir, comme Jane et Léone venaient de se mettre à table avec Hébrard, ce dernier visiblement embarrassé s’écria soudain, avec une certaine hésitation :
— J'ai reçu aujourd’hui, en votre abserice, une bien étrange visite.
Et comme les deux amies, invitées .à deveiner de qui il s'agissait, prenaient plaisir à ce jeu, sans arriver à rien découvrir, l’ingénieur se prit à sourire, en déclarant :
— Allons, il vaut mieux donner votre langue au chat. Et puis je ne veux pas vous faire languir… Mon visiteur n’est autre que...
Il s'arrêta pour mieux juger de l’effet et, tout de go, annonça :
— M. William Parker !.….
L’étonnement des deux jeunes filles fut alors porté à son comble.
M. William Parker. le «Beau Ténébreux », le mystérieux « Homme des Bois »? C'en était une surprise! Et qu’était-il venu faire à la « Villa des Roses » ?
— Ah! reprit Hébrard, plus embarrassé que jamais. Cela, je vous le donnerais en mille, que vous ne sauriez le deviner.
Le regard de l'ingénieur s’était brusquement porté sur sa fille et, sans ambages cette fois encore, il murmura :
— M. Parker est venu, Jane, te demander en mariage.
— Moi? fit la jeune fille abasourdie, tandis que Léone s’arrêtait soudaine de manger.
— Ah! par exemple! eût-elle à peine le temps dire, avant d’être prise d’un fou rire qui gagnait bientôt Jane, elle aussi.
Mais très grave, l'ingénieur mit fin à leurs éclats, en reprenant :
— Ne riez pas, petites. C’est tout ce qu’il y a de sérieux.
«J’avoue que j'avais cru tout d’abord à une de ces mauvaises plaisanteries à froid, empreintes de cet humour tout spécial aux Anglo-Saxons, et je m'apprêtais déjà à éconduire mon visiteur de la belle façon, quand tranquillement, il s’est ‘installé plus confortablement au fond du fauteuil que je lui avais désigné à son entrée et commença avec un flegme imperturbable: ,
«— Ma démarche vous surprend, je m’en
: doute bien, mais je vous prie, M. Hébrard,
de m’accorder toute votre attention et vous vous rendrez compte que je suis parfaitement sincère.
« Voici. Depuis quelque temps déjà, j'ai le très grand plaisir de rencontrer au Bois votre fille qui s’y promène en compagnie d’une amie, et je dois vous confesser l’indéfinissable sentiment de profonde affection qu'elle a fait naître en moi.
En rapportant les paroles de l’Américain, François Hébrard semblait revivre encore ces moments de troublante stupéfaction.
— Je vous laisse à penser, fit-il enfin, si les bras m'en tombaient !… Un Américain, millionnaire pour le moins, et que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam, venir me demander la main de ma fille! Il y avait là de quoi estomaquer un modeste père de famille comme moi...
«Il attendit un instant pour juger de l'effet de ses paroles et repartit de plus belle, en conservant son beau flegme :
— J'ai une très grande fortune, et je tire en outre tous les ans de gros revenus de mines d'argent que je possède aux EtatsUnis.
« J’ai trente-six ans et suis seul au monde.
«Je suis venu me fixer en France, parce que j'aime votre pays que je ne quitterai plus jamais.
« Enfin, je ne suis pas le premier venu au point de vue intellectuel, ayant fait toutes mes études à l’Université de Harvard.
«Vous êtes maintenant au courant de mon passé, M. Hébrard, de mon présent et
Le Film, Montréal, mai 1949
de mes intentions pour l'avenir. À vous de juger si vous voulez bien de moi pour gendre, ce qui me rendrait, je puis vous le certifier, le plus heureux des hommes.
— Et que lui as-tu répondu ? interrogea la fille de l’ingénieur, fort perplexe.
— Oh! simplement ceci :
«— M. Parker, je suis très honoré de la demande que vous venez de me faire. Et comme vous avez été franc avec moi, je vais l’être également avec vous. Vous êtes fort riche et moi, je ne pourrai donner qu’une modeste dot à ma fille.
«— Elle n’a besoin de rien, interrompitil. J'ai tout ce qu’il faut pour la rendre heureuse...
«— En outre, répliqua-t-il, j'ignore si vous plaisez ou convenez à ma Jane, majeure depuis peu et par conséquent absolument libre de ses actes. Vous comprendrez donc qu’il m’est impossible de vous donner une réponse quelconque, avant de l’avoir consultée.
«— C'est très juste, reconnut-il, et je m'attendais à cette réponse de votre part. Aussi rien ne presse. Prenez tout votre temps pour communiquer ma demande à Mile Jane. J’attendrai sa décision. Si elle est négative, il est inutile pour nous de lier connaissance. Si elle est favorable, veuillez me le faire savoir au plus tôt et je commencerai aussitôt ma cour, avec votre autorisation.
«Maintenant, monsieur Hébrard, permettez-moi de me retirer, car, je ne veux pas abuser plus longtemps de vos précieux instants.
— Quel original! s’écria Léone Larive, dès que l'ingénieur eût achevé de parler. Ah ! on a bien raison de dire que les Américains sont tous des excentriques !.… Qu'en penses-tu, Jane ?
Mais celle qui avait été la fiancée de Daniel Serval demeura silencieuse, se contentant de tenir ses yeux baissés, l’esprit perdu dans une lointaine rêverie..
CHAPITRE VI
ETRANGE impression produite sur sa fille
par la curieuse révélation qu'il lui
avait faite sur l’objet de la visite de
Parker, n’avait point échappé à François Hébrard.
Aussi insista-t-il vivement auprès de Léone pour qu'elle évitât, dans la conversation, de revenir sur ce sujet délicat que lui-même n’aborderait pas non plus, de quelque temps du moins, car il se réservait d'y faire simplement allusion dans la suïte.
Ce fut d'elle-même cependant que Jane allait en parler à son père, au grand étonnement de ce dernier.
Il la vit, un matin, pénétrer dans la pièce qui lui servait de cabinet de travail et, assise à une table qui les séparaït, elle lui dit à brûle-pourpoint et d’un ton bien décidé :
— Père, j'ai tenu à te voir au sujet de la demande que t'a adressée M. Parker.
— Bien, mon enfant, répliqua l’ingénieur, un peu surpris de cette entrée en matière.
Alors, brusquant les choses, elle déclara :
— J'accepte l’offre qu’il t'a faite, de faire de moi sa femme.
Hébrard eut un soubresaut et les yeux grands ouverts sur sa fille, balbutia :
— Tu. quoi ?