Le Film (sep 1949)

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Le Film, Montréal, septembre 1949 Il n’est de pire sourd que celui qui ne veut 15 pas entendre. Mais la voix de l’amour est la plus forte de toutes et le coeur y répond toujours. TIENNETTE est encore en retard ce matin... comme d’habitude! maugréa, pour la forme, Rémi Varadois en levant les yeux vers la pendule. Les deux mains enfoncées dans les poches de son veston d'intérieur, il se mit à aller et venir sur l’épais tapis de la salle à manger dont la haute laine étouffait le bruit de ses pas. Un gai rayon de soleil printanier, justement, franchissant les draperies soyeuses des c<tores, venait de se poser sur la nappe de toile vert tendre qui couvrait la table. Ici et là, une porcelaine de Chine fleurie, une aquarelle, un bibelot, venaient ponctuer de rose la douceur du vert fondu. Enfin, pour mettre un point final à cette délicieuse symphonie, une grosse gerbe de fleurs d’amandier se dressait au centre de la table. — Etiennette a un goût exquis, se dit Rémi pour la millième fois en contemplant avec un air heureux le décor familier de son existence paisible. Il s’approcha de la table, regarda les rôties et les croissants brûlants sur le chauffe-plat électrique, huma l’odeur du café, vérifia le contenu des pots de confitures. La pendule marquait neuf heures moins le quart: il lui faudrait être à son bureau dans une demi-heure. II adorait pourtant le moment du petit déjeuner, tête-à-tête avec Etiennette, et aimait le prolonger le plus possible. — Je me demande ce qu’il y a ? s2 dit-il en consultant de nouveau la pendule. Dix minutes, c’est beaucoup pour Etiennette. Je vais voir ... Juste à ce moment, la grille de fer forgé qui séparait la salle à manger du salon fut poussée d’un geste vif et une toute petite femme brune, enveloppée d’une longue robe de soie rose, fit irruption dans la pièce. Elle tenait une lettre ouverte à la main et son joli visage aux traits nets, décidés, portait une expression qui ne devait pas lui être famïlière, car Rémi s’écria : — Qu'y a-t-il, chérie? Mauvaises nouvelles ? Graves, très graves ? Elle fit un léger signe de tête et se dressa sur la pointe de ses petites mules bordées de cygne pour entourer de ses bras le cou de son grand diable de mari. — ÂAssieds-toi vite, dit-elle, ou tu seras obligé de déjeuner en courant. Je vais te servir ..… Malgré l’air soucieux de son visage, ses gestes ne trahissaient aucune agitation. lis restaient calmes, ordonnés, comme ses traits fins, ses cheveux noirs et lisses, tout l'agencement de sa petite personne soignée. Ce n’est que lorsque Rémi se fut mis à manger qu'elle se décida à parler : — Maman m'a écrit, fit-elle de sa voix bien timbrée. Sa lettre m'a bouleversée ... Ca va mal à Ker-Traor... — Personne de malade, au moins ? interrogea Rémi, plein de sollicitude. — Non, personne... Seulement, cette fois, c'est la ruine complète ... ou presque, sinon tout de suite, du moins à bref délai! — Diable! Mais comment, comment ! Rémi avait posé sur son assiette le croissant juste entamé et regardait anxieusement sa femme. — Papa a voulu se mêler de placements qui se sont révélés très mauvais. — Mais la fortune de ta mère ? — Elle a eu la faiblesse de la remettre tout entière aux mains de père, et alors... — Ah ! vois-tu, ma chérie, un brave sojdat fait rarement un brillant homme d’affaires ! Si le général avait voulu m’écouter, il n’en serait pas là aujourd’hui ! Etiennette leva vers son mari deux yeux pleins de confiance et d’admiration : — Nous le savons tous, mais lui, il est si entêté, mon chéri! Pauvre papa! Ii doit bien souffrir à présent... Le pire, c’est qu’il faudra vendre Ker-Traor. — Non! — C’est ce que dit maman... D’après elle, il ne leur restera que la retraite de SAGESSE Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. La cloche dans le ciel qu'on voit Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est La, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. Qu'as-tu fait, 6 toi que voilà Pleurant sans cesse; Dis, qu'as-tu fait, toi que voila, De ta jeunesse ? Paul VERLAINE papa. Impossible avec ça de continuer à habiter un aussi vaste domaine. Du reste, Ker-Traor est hypothéqué ... — Et nous ne nous doutions de rien ! Etiennette baissa la tête. Sa gorge serrée ne lui permettait pas de boire et des larmes gonflaient ses yeux aux longs cis sombres recourbés. — Ma pauvre petite chérie! fit tendrement Rémi en lui caressant la main. Et Jancis ? Sait-elle ? — Non. Maman lui cachera tout jusqu'à la dernière minute. — Est-ce sage ? — Sait-on? En tout cas, le désir de mes parents à ce sujet est formel. Papa est déchiré de remords, surtout à cause de Jancis, la benjamine, sa préférée. Maman x aussi se désole à cause d’elle. Ecoute ce qu’elle m'écrit: “Je me résignerais très volontiers à la perte de notre fortune, et même à la perte de notre cher Ker-Traor, auquel, pourtant, mon coeur tient par tant * de fibres profondes, maïs je ne peux supporter l’idée que Jancis apprendra bientôt qu’elle est pauvre et qu’elle devra renoncer, à jamais peut-être, à tout le luxe auquel elle a été jusqu'ici habituée. Nous: l'avons trop gâtée, cette enfant de notre âge mûr que nous avons accueillie avec une joie folle dix ans après ta naissance! Tu la connaïs : elle a un coeur d’or, mais elle est habituée à voir satisfaits ses moindres caprices, ses fantaisies les plus coûteuses. Elle est absolument incapable de suppa:.er la pauvreté ou même la médiocrité. Alors, un peu plus, un peu moins, peu importe à présent ! Nous avons décidé, ton père et moi, de la laisser vivre à sa guise, heureuse et insouciante, sans rien lui refuser, lui laissant jusqu’au bout la chance de trouver un mari qui puisse lui donner la fortune qu'elle aurait dû avoir. Elle est ravissante, tu le sais, et sa beauté augmente chaque jour. Je ne voudrais pour rien au monde, en la plongeant dans la tristesse, lui retirer une de ses chances de plaire et d'exercer sa séduction, faite de joie, d’insouciance enfantine. Si tu peux aider ta petite soeur, ma chérie, fais-le. Mon coeur de mère en sera infiniment touché. Qu'elle soit aussi heureuse que £iu l’es toi-même ! ” Etiennette posa de nouveau la lettre sur la nappe et regarda son mari. Son visage exprimait une tendresse et une admiration infinies : — C'est vrai que je suis très heureuse auprès de toi, mon amour! dit-elle. Si Jancis ... Elle s’interrompit, car Rémi hochait la tête d’un air préoccupé : — Ta soeur est charmante, certes, elle est même éblouissante, maïs, malheureusement, tu sais comme moi que ses prétentions et son étourderie rendent presque impossible tout projet de mariage! Car, enfin, vois-tu autour de nous un seul homme sur lequel elle daignerait jeter les yeux ? Il lui faudrait un héros, beau comme un dieu et, par-dessus le marché, un héros riche comme Crésus ! Voyager dans une dix chevaux, fi!... Habiter un appartement ? Quelle horreur ! Le visage d’Etiennette était maintenant tellement triste que Rémi ce:ssa net sa diatribe. Il s’approcha de sa femme et caressa ses beaux cheveux noirs : — Pardonne-moi, chérie, de t'avoir fait de la peine... Nous ferons de notre mieux pour ta petite soeur et nous essaierons de la mettre dans le bon chemin. Fais-la venir ici si tu juges que cela puisse lui servir à quelque chose et débrouilletoi de ton mieux. La jeune femme leva vers son mari des yeux extasiés : ‘ — Que tu es bon!... Bien sûr, qu’en gardant Jancis ici et en donnant pas mal de réceptions, nous réussirons vite à la marier !