Le Film (sep 1949)

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16 — Tu crois? Enfin! on peut toujours essayer ! — Oui... mais les réceptions coûteront cher ! Le front de Rémi se plissa légèrement, mais il fit bravement, tout en allumant une cigarette : — J’ai mis de côté quelques beaux billets pour notre croisière en Baltique, cet été. Nous pouvons en disposer dès à présent et remettre ce projet à l’année prochaïne. Je te donne carte blanche. Des larmes de reconnaissance gonflèrent les yeux d’Etiennette et elle se jeta dans les bras de son mari: — Que tu es bon! Que tu es bon! criat-elle. Tu ne peux comprendre à quel point ta générosité me touche ! Tu te faisais un tel plaisir de cette croisière ! — Nous pouvons bien faire quelques petits sacrifices pour Jancis. Et puis, je suis tellement reconnaïcsant à tes parents de m'avoir donné une si parfaite compagne ! Il est neuf heures et demie. Je me sauve... J'ai des rendez-vous très importants à l’usine aujourd’hui. — Papa ! Papa! Bonjour, papa ! Deux enfants venaient de faireirruption dans la salle à manger: un garconnet de cinq ans en pyjama de zéphyr rayé, une petite fille d: trois ans, vêtue d’une robe de chambre à poches “comme maman”. our madame Noiron, autrefois or donnace du général-comte Lennoc de Marvan, maintenant maître d'hôtel et intendant du castel de Ker-Traor, présenta à sa maîtresse une lettre timbrée de Paris. À cette vue, une joyeus? émotion teinta de rose le visage pâle de la vieille dame. Ses doigts un peu tremblants déchirèrent vite l'enveloppe : — Quelle bonne petite, cette Etiennette ! Elle a répondu tout de suite et longuement ... Elle s’absorba dans sa lecture. Son mari, assis en face d’elle, de l’autre côté de la baie vitrée qui dominait les rochers rugueux de la côte et l'étendue illimitée de l'océan, laissa retomber le journal qu’il était en train de lire. D'un geste sec, il arracha le monocle qu'il portait dans son orbite droite et le fit tournoyer d’un air absent et soucieux. Le général Lennoc de Marvan était très beau encore sous ses cheveux blancs demeurés épais. Ses traits avaient de la noblesse, son air était imposant. Il attendit un long moment que sa femme eût terminé sa lecture, puis, n’ y tenant plus, demanda : — Que dit-elle ? Mme de Marvan leva son fin visage ravagé par l’âge et les soucis. Ses yeux étaient embués de larmes : — Cette chère petits m’écrit la lettre la plus tendre, la plus touchante qui soit... Elle est prête à recevoir Jancis sur-lechamp et à lui donner toutes les occasions de se distraire, d’aller dans le monde. — Cela représente beaucoup de peine et beaucoup d’argent ... — Etiennette s’en rend bien compte et on la sent décidée à faire l'impossible pour nous, pour sa soeur. D’un commun accord, Rémi et elle ont décidé de supprimer ‘a croisière projetée pour cet été en Baltique, afin de donner à Jancis in les occasions de se distraire... — Braves coeurs. — Oui, bien braves... Le vieux soldat baissa la tête pour cacher son désarroi. Des remords incessants faisaient à présent de son existence un véritable purgatoire. À ce moment, une voix joyeuse se fit entendre au dehors, ponctuée par les notes graves d’un organe masculin. —Jancis prend sa leçon avec Noiron, remarqua la générale. Elle s’approcha de la baie, suivie de son mari, et tous deux, le visage éclairé de tendresse, regardèrent les évolutions d’un fougueux cheval noir, monté par la plus jolis amazone qui fût jamais. La jeune fille les aperçut et leur lança un appel vibrant de gaîté. : Très droite, mince, souple comme un roseau, bien prise dans une jaquette cintrée, le cou éravaté de blanc, bottée jusqu’au genou de cuir verni, elle enfourchait sa bête avec la sûreté d’un cavalier consommé. Ses cheveux bouclés, couleur de châtaigne, étaient retenus par un ruban et le vent de la mer les faisait voler en mèches folles autour de son ravissant visage. Ses grands yeux verts brillaient d’un vif éclat et ses dents blanches faisaient valoir le ton chaud de son visage doré comme un brugnon. Elle salua trois fois d’un geste de sa cravache, dressée sur ses étriers, puis fouetta sa monture qui partit comme un trait. Noiron fila au galop derrière elle. — Jancis est d’uñe imprudence folle ! gémit Mme de Marvan. — Laisse... laisse... Cette petite est une écuyère consommée, une manière de centaure. Elle a une assiette ! Mme de Marvan reprit la lettre et, pensive, en tourna les feuillets : — Jancis ne va peut-être pas accueillir avec plaisir l'invitation d’Etiennette ... Ce nouveau cheval que tu lui as donné la passionne. Quand elle n’est pas sur son dos, elle est à l’écuris ... Et puis, avec le beau temps revenu, elle va se baigner, nager ... Elle n’est pas folle de Paris, tu le sais ? Surtout au printemps... Le général hocha la tête: — Ce sera à toi de la convaincre. Je suis certain que tu y parviendras sans peine. — Sans peine ... Que non pas! Mme de Marvan prit son tricot et son mari se leva : — Je vais faire un tour dans le parc et donner moi aussi une lecon à ma diablesse. Je n'ai jamais eu meilleur élève, ni plus audacieux ! Il sortit et sa femme le suivit des yeux, notant avec peine que la haute taille svelte s'était voûtée ces derniers temps. Les heures s’écoulèrent insensiblement dans la grande bibliothèque qui, sur son promontoire de rocs, dominait la côte et le parc à demi-sauvage qui entourait le castel. Vers midi, l'escalier retentit sous un pas vif et la porte s’ouvrit d’une brusque poussée. Jancis, les joues pourpres, les cheveux emmêlés, rayonnante de santé et de joie, courut embrasser sa mère. — Assieds-toi un peu, petit démon! lui dit Mme de Marvan. Ne peux-tu rester tranquille un moment, coudre, lire, tricoter ? Comme quand j'étais jeune ? Jancis se laissa tomber dans un grand fauteuil et tapota ses bottes du bout de sa badine : — Que les dieux soient loués de ne m'avoir pas fait naître au temps où tu Le. Film, Montréal, septembre 1949 étais jeune, maman ! Mon Dieu ! que je me serais ennuyée ! — Mais non ! Mais non ! En attendant, tu me donnes bien du souci, car je crains que tu ne te rompes le cou un de ces jours, ce qui ne serait pas arrivé de mon temps ! Non, mademoiselle ! Jancis éclata de rire et posa sur 5a mère le regard de ses yeux glauques, pro-fonds comme la mer, aussi changeants qu elle, tour à tour gris ou d’un vert lumi neux. — Je suis tombée des centaines de fois, et jamais je ne me suis rien cassé. Je suis souple comme un gant! répliqua-t-elle. —Ne ty fie pas trop! En attendant, sais-tu de qui je viens d’avoir des nouvelles ? D’Etiennette. Elle t'invite à venir passer avec elle un, deux ou trois mois, à ta convenance. Paris est adorable au printemps et son nouveau quartier particulièrement agréable. Les lèvres de Jancis esquissèrent une moue : — Etiennette est très gentille, mais pourquoi irais-je à Paris quand je suis si bien ici! Et Bourrasque qui n’est pas encore dressé tout à fait ! — Rien ne toblige à partir immédiatement, mais, si j'étais à ta place, je ne laisserais pas passer pareille occasion. Etiennette avec ses enfants, ses nombreuses occupations peut n'être pas en état de renouveler son invitation de longtemps. Songes-y : jolie comme tu l’es devenue, tu vas avoir beaucoup de succès dans le monde ! Jancis eut une moue dédaigneuse : — Peuh! Le monde d’Etiennette! Des industriels en grande partie ! Des gens sans intérêt ! — Ne dénigre pas d'avance ces gens que tu connais très mal ou pas du tout... Tu t’'amuserais comme une folle. Et tes neveux sont adorables, à ce que me dit ta soeur. N’as-tu pas envire de les voir ? D'ailleurs, j'écrirai à Mme de Lerboïis, ma vieille amie ... Les yeux de Jancis, adoucis, fixaient une image dans le vide. Elle sourit : — Et les jolies toilettes que tu porterais ! poursuivit la mère. Ici, tu n’as pour ainsi dire jamais une occasion de ce qui s'appelle “s’habiller” ! Le visage de la jeune fille devint plus rêveur. Visiblement, on la sentait tentée. — Enfin, tu réfléchiras. A ta place, moi, je n’hésiterais pas... — J'irai, fit soudain Jancis, si papa me donne suffisamment d’argent pour m’habiller convenablement. — Tu lui en parleras au déjeuner, répliqua Mme de Marvan, tout en essayant de dissimuler l’inquiétude que cette maudite question d’argent faisait naître en elle. — C'est ça. Et elle tint parole. A l'énoncé de la somme désirée, le général faillit laisser voir son désarroi. Il demanda un délai pour réfléchir. Jancis, habituée à voir tous ses caprices satisfaits immédiatement, trouva drôle que son père eût besoin de délai. — Deviendrais-tu avare, papa ? jeta-telle gaîment. Et, insoucieuse des calculs pénibles qui occupaient l'esprit de ses parents. elle continua à dévorer à belles dents, d’un appétit fouetté par le grand air et l'exercice. Quand les parents se retrouvèrent seuls, ils se regardèrent d’un air soucieux : — Pourras-tu faire ce dernier sacrifice ? demanda la vieille dame à son mari. — Oui. Ce sera dur, mais tant pis... ll