Le Film (sep 1949)

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La voiture longea le Champ de Mars, fila vers le Trocadéro, puis vers Passy. Une atmosphère grisante montait de la terre, de l’eau, du ciel, de la foule élégante. — Nous approchons, fit Tiennette. C’est là... La voiture stoppa devant un immense immeuble moderne dont les étages supérieurs étaient précédés de terrasses d’où ja vue embrassait les fondaisons du bois de Boulogne. — Nous perchons au septième. C’est délicieux... Un peu petit, peut-être, mais exquis. Tu verras... L’ascenceur les emmena tout en haut. Tiennette, fière de son home, en fit les honneurs à Jancis. Plus encore que de coutume, une profusion de fleurs et :le plantes vertes, d'oiseaux des îles et de poissons chinois mettaient leurs notes gaies dans l’appartement. Jancis suivit sa soeur de la galerie au salon, du salon au bureau-fumoir de Rémi, transformé provisoirement en chambre à coucher pour elle. Elle visita la nursery des deux petits, la terrasse ensoleïllée où des rocking-chairs et des lauriers taillés en boule composaient un riant décor, avec au loin, le déferlement infini . des arbres au feuillage vaporeux. — C'est charmant... Exquis... Tu as un goût extraordinaire, faisait Jancis. Mais quand elle eut fait le tour de l’appartement, visité la salle de bains et même la cuisine de céramique blanche où Marie préparait le repas du soir, que Tiennette lui eut vanté la commodité de l’eau chaude tout l’année, elle s’écria : — Nous avons tout vu? Oui... Mon Dieu ! C’est très gentil, maïs il me semble que je mourrais d’être enfermée presque toute l’année dans ces cinq petites pièces ! J'aurais l'impression de vivre dans une cage à mouches! Le visage de Tiennette, si visiblement fière de sa nouvelle installation, se crispa un peu, et celui de Rémi exprima une mauvaise humeur vite contenue. — Tu t'y ferais vite, ma petite ! fit doucement sa soeur. Et tu finirais par te rendre compte, comme nous, que tu es une privilégiée ..…. Jancis éclata de rire: — Je ne voudrais pas diminuer ton contentement, soeurette, mais si ce qui me semble insupportable à moi est, pour vous autres Parisiens, un privilège, comme tu dis’; alors, moins que jamais, je ne veux quitter ma Bretagne, ni Ker-Traor, ni mes chevaux, ni mes landes! Ah! j'étoufferais ici! Un peu consternés, les deux époux se regardèrent, mais, heureusement, les deux petits qui prenaient leur repas dans la nursery les appelèrent pour le baïser du soir. Jancis s’en fut dans la salle de bains réparer le désordre du voyage et le dîner fut servi dans la jolie salle à manger, fraî che comme un sous-bois ensoleillé. IV E pauvre Rémi avait redouté à juste titre l’intrusion de sa remuante bellesoeur dans la vie si quiète de son ménage. Il fallut, dès le premier soir, aller au cinéma, souper dans un grand cabaret en vogue des Champs-Elysées. Et, dès le lendemain, Tiennette qui, avec une seule domestique et une femme de ménage, avait fort à faire, dut accompagner Jancis chez les couturiers et les modistes en renom. Cette période exténuante pour elle dura dix jours, au bout desquels Jancis s’estima suffisamment bien habillée pour paraître dans les endroits élégants, et y faire admirer les merveilles qu’elle s'était commandées. — Tu es fatiguée, chérie? demandait Rémi à Tiennette, le soir. Ces courses te surmènent ? — Non, non. Nu reste, fatiguée ou non, nous en avons pur deux ou trois mois au moins. Il faut nous habituer à tenir le coup. D'ailleurs, nous devenions trop “popotes”, comme dit Jancis.” Elle, Jancis, s’épanouissait comme une rose en mai. Parée à merveille, fraîche, reposée, elle voulut tout de suite faire partie de clubs sportifs où elle put rencontrer la jeunesse dorée de la capitale. — Maman a écrit à son ancienne amie, la baronne de Lerbois, dit-elle à Tiennette. Nous irons lui faire visite prochainement. Elle reçoit beaucoup... Son fils aîné, Gontran, est aviateur : le cadet est à Saint-Cyr. Je trouverai là ce qu’il me faut comme camarades pour la danse, le tennis, l'équitation, l’auto ... La baronne de Lerbois était une amie de pension de Mme Lennoc de Marvan, mais nul n'aurait pu s’en douter tant elle était massée, teinte, fardée et ajustée au dernier goût du jour. Elle avait une très grosse fortune et son hôtel de l’avenue de Messine ne désemplissait pas d’une foule bigarrée, excentrique et très chic, composée surtout. de gens très jeunes, où les aventuriers coudoyaient bien quelque peu des gens appartenant à d'excellents milieux, mais “dans le mouvement”. — Pourquoi ne vas-tu jamais chez Mme de Lerbois. avec ou sans Rémi ? interrogea Jancis, comme les deux femmes montaient dans le taxi qui devait les conduire chez cette dernière, où elles étaient conviées à un thé dansant. Tiennette haussa ses beaux sourcils sombres : — Qu'irais-je y faire? Je suis très heureuse chez moi, très occupée... J'ai des amis. Je n’ai que faire des relations que je pourrais me créer chez la baronn:. Non pas qu’il ne s’y trouve des gens charmants, mais notre train de vie ne nous permet guère de les suivre, en aurionsnous le désir. Puis, pour dire toute la vérité, notre vieille amie m’agace un peu! Cette fausse vivacité, cette affectation de jeunesse me donnent sur les nerfs... Pour toi, c’est tout à fait le salon rêvé. Ce serait bien le diable si tu ne t'y créais de très agréables relations ! — J'y compte bien, répliqua Jancis. Je veux goûter la vie de Paris dans tout ce qu’elle a de plus brillant. Je n’en apprécierai ensuite que mieux la douceur de Ker-Traor et redeviendrai sauvage avec ivresse ! Elle tourna vers sa soeur son délicieux visage encadré par un béret de soie blanche savamment drapé qui dégageait ses boucles dorées. Sa robe, mi-blanche, minoire, ornée d’une grosse touffe de fleurs virginales lui seyait à ravir. Etiennette examina sa soeur avec admiration : — Tu vas avoir un succès fou, lui ditelle. Le taxi fit halte devant la grande porte de ferronnerie de l’hôtel. Le long du trottoir, à perte de vue, s’alignaient des voitures, toutes plus somptueuses les unes Le Film, Montréal, septembre 1949 que les autres. Jancis désigna à sa soeur une Bugatti grand sport et remarqua : — Voilà ce qu’il vous faudrait à la place de votre autobus! J'aimerais tenir le volant de cette voiture-là ! Papa m'a promis une belle voiture pour mes vingt ans. Etiennette ne répondit pas. Un concierge galonné ouvrait la porte d’un immense vestibule, très moderne et presque trop opulent. Une vague de parfums et les sons d’un jazz, dissimulé quelque part, vinrent frapper les sens des deux femmes. Tiennette, du coin de l’oeil, vit sa soeur aspirer avec délices cette atmosphère de luxe. Toutes deux se dirigèrent vers un large escalier qui conduisait aux salons de réception du premier étage. Le jazz venait justement de faire trêve et les noms des deux femmes, annoncés à voix haute, firent tourner toutes les têtes. Tiennette se sentit légèrement intimidée par tous ces regards, mais Jancis, souriante, sûre de soi, accueillait avec une aisance de princesse l’admiration qui se pouvait lire dans les yeux braqués sur elle. La baronne, grande, sèche, froufroutante, trop blonde, trop rose, trop vive, les accueillit au seuil des salons avec de grandes démonstrations d'amitié: — Tiennette, tu mériterais que je te punisse pour m'avoir délaissée si longtemps! Il a donc fallu que cette ravissante jeune soeur arrive de sa Bretagne pour que tu te décides à mettre les pieds chez moi? Laisse-moi te regarder, Jancis. Tu es adorable, tu ent:nds, adorable! (Gontran, Max, venez vite ici que je vous présente. Par bonheur, mes deux fils sont chez moi, aujourd’hui. Deux beaux jeunes hommes s’inclinèrent devant Jancis, bientôt suivis par une cohorte d’admirateurs qui voulaient à toute force être présentés à la nouvelle venue. Dès que retentit le jazz, elle s’envola au bras de Gontran. La baronne eut un sourire malicieux en les voyant s'éloigner: — Elle les a tous charmés, Tiennette! Le thé dansant se prolongea jusqu’à deux heures du matin. Tiennette, à demi endormie dans un fauteuil, attendait sa soeur, et Rémi, tournant et retournant les pages de son journal dans son lit, sentait que l’épreuve serait plus pénible encore qu’il ne s'y était attendu... V E succès de Jancis dépassa aussi toutes les espérances! A partir de sa première soirée chez Mme de Lerbois, les invitations plurent de toutes parts. Tiennette, débordée, ne savait plus où donner de la tête. Dans l'incapacité de chaperonner Jancis chez tous ses nouveaux amis, elle dut laisser plus de liberté qu’elle ne l’aurait souhaité. Ce n’est pas sans hésitation que Mme Varadois voyait sa soeur s’en aller presque chaque jour avec des amis différents, jeunes gens et jeunes filles, dont les voitures venaient la cueillir au passage. Jancis se moquait de la jeune femme et de ses idées d’un autre siècle. — Tu es plus retardataire que maman et même papa! lui lançait-elle, moqueuse. Chaque fois qu’ils le pouvaient, Gontran et Max venaient chercher Jancis pour faire de l'équitation au Bois, le matin; de longues randonnées en voiture, l'après-midi, [ Lire la suite page 27]