Le Film (sep 1949)

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28 suis Jancis, la soeur de Tiennette. Vous ne saviez pas que j'étais là? — Oh! Mais vous êtes tellement transformée que je n’ai pas songé à vous tout d’abord. J'ai cru que vous étiez une amie de Mme Varadois! Elle l’enveloppa du regard de ses grands yeux verts lumineux, montra ses dents éblouissantes: — C’est que j'ai dix-huit ans, à présent... On sonne! Ce doit être Gontran? Une seconde plus tard, un bel aviateur, revêtu de son uniforme de gala, pénétrait dans le salon. Il s’inclina galamment devant Jancis et la petite main offerte avec une élégance accomplie. Saint-Yves, un peu à l’écart, les embrassant tous les deux d’un coup d’oeil, sentit un léger malaise l’envahir. Il se trouvait soudain amoindri par la présence de ce magnifique officier. Le nouvel arrivant avait — il s’en rendait compte avec une pointe d’amertume — ce qui lui manquait à lui-même: une aisance accomplie, un grand vernis mondain, un contentement de soi qui imposaient et charmaient à la fois. Les présentations à peine faites, Jancis et l’aviateur s’esquivèrent. La jeune fille s’enveloppa d’une cape de velours incarnat et tendit la main à Saint-Yves. Il s'en empara gauchement, en eut conscience, se sentit maladroït, sans prestige. La porte à peine refermée, Rémi accourut dans le salon: — Excusez-moi, mon vieux! Un bouton de faux col égaré! Tu connais ces avatars-1à? Tiennette regrette de te faire attendre, mais tu sais, les femmes, quand elles se mettent sur le pied de guerre! A propos, tu as vu ma petite belle-soeur? Déjà filée, la coquine! Qu’en penses-tu? — Mile de Marvan est ravissante! — Tiens! Pourquoi l’appelles-tu mademoiselle? il me semble que tu l’appelais Jancis, il y a deux ans? — Oui, mais c'était une petite fille, alors! Voilà Etiennette.. Etiennette portait une robe qui rappelait les modes de l’Empire. Une douzaine de camélias roses naturels bordaient le décolleté de sa robe. Avec son visage calme, régulier, ses bandeaux lisses, elle paraissait descendue d’une toile de Winterhalter. — Quelle différence avec sa soeur! songea tout de suite Robert. Quel abîme entre cette douce créature et elle dansant, le feu-follet, la fée capricieuse que paraît être Jancis! Le dîner fut exquis et cordial, comme d’habitude, le spectacle qui suivit excellent. Pourtant, Robert Saint-Yves, qui se sentait toujours si heureux dans la société de ses amis, fut, ce soir-là, mal en train et mélancolique sans savoir pourquoi ou plutôt sans vouloir admettre le pourquoi de cet état d'âme! Il ne pouvait s'empêcher de revoir l’image des deux beaux jeunes gens quittant le salon ensemble. Bien qu'il la jugeât mesquine, indigne de lui, une pensée amère lui était venue à l'esprit: — Jancis ne s’est même pas excusée d’être obligée de partir! Elle avait un engagement antérieur, certes, mais elle est d’humeur assez décidée pour savoir se débarrasser d’une façon ou d’une autre des invitations qui la séduisent le moins. Si Gontran de Lerbois avait été à ma place, aurait-elle agi ainsi? Non... VI IENNETTE attendit sa soeur en lisant dans le salon. Rémi, écrasé de fatigue, était allé se coucher. Ce n’est que vers deux heures du matin que Mme de Lerbois, Gontran et Jancis firent leur ‘apparition. La jeune fille, aussi fraîche que si elle venait de quitter son cabinet de toilette, n’était pas d'humeur à se mettre au lit. La baronne de Lerbois non plus d'ailleurs, malgré la fatigue qui lui tirait visiblement les traits et les poches démesurément gonflées qui soulignaient ses yeux! Une joie de vivre débordante se dégageait de Jancis avec une telle force que Tiennette se sentit encline à l’indulgence. Elle s’en fut chercher une bouteille de champagne à l'office et garda ses invités quelque temps. Mme de Lerbois, tassée dans un fauteuil, fumait en bavardant comme une pie. Gontran et Jancis, dans un coin du salon, parlaient à mi-voix. — Qu'ils sont gentils, ces petits! murmura la baronne en aspirant la fumée de son long fume-cigarette d’écaille. Tiennette prit une expression maternelle et approuva chaleureusement. Son coeur se dilatait de joie en regardant le couple magnifique formé par sa soeur et Gontran. N’étaient-ils pas faits l’un pour l’autre, ces deux êtres qui, sous leur apparence frivole de mondaïns, rscélaient sûrement un fond solide de courage et de fortes vertus? Oui, Gontran aimait Jancis, c’était visible! Et Jancis semblait lui rendre son sentiment. La baronne, par son attitude, paraissait approuver pleinement l’attraction mutuelle de ces deux enfants. Alors? Que pouvait faire d'autre. Tiennette, sinon se réjouir? Elle oublia le gros nuage noir à l’horizon et ne pensa plus à la ruine de ses parents. Elle vit sa chère petite soeur heureusement mariée à un homme digne d’elle, capable de lui donner la vie à laquelle elle était habituée. Aussi, à peine la baronne et Gontran partis, Jancis enfermée dans la salle de baïns, courût-elle réveiller Rémi qui dormait à poings fermés dans son lit. — Rémi! Rémi! Ecoute! — Quoi? Quoi? fit-il en se dressant apeuré. Qu'y a-t-il? Tiennette, grisée par le bonheur et le verre de champagne, éclata de rire joyeusement, car le visage de Rémi était très comique: ; — Mais non, gros bêta! Il n’y a pas le feu à la maison! Ecoute la bonne nouvelle: je crois que nous apprendrons bientôt les fiançailles de Gontran et de Jancis, et que la baronne va faire sa demande à mes parents. À vrai dire, cela ne fait pas l'ombre d’un doute! Elle se mit à bavarder, assise sur le bord du lit. Rémi, heureux de la joie de sa femme, l’écoutait souriant, mais se garda bien d'encourager ses espoirs. — Tant que Gontran ne connaîtra pas la situation réelle de ta famille, il ne faut pas se hâter de conclure, fit-il sagement. Tiennette se rebella: — Gontran me paraît plein de noblesse de coeur et incapable de vils calculs. Il épousera la femme qu'il aime, pauvre ou non! — N'en sois pas trop sûre, chérie! La baronne a habitué ses fils à une vie trop fastueuse pour qu’ils pussent facilement y renoncer! Un mariage très riche me paraît indiqué dans leur cas. Le Film, Montréal, septembre 1949 — Mais ils sont très riches eux-mêmes! cria Etiennette. Alors, ils peuvent se montrer généreux! — Qu'en sais-tu? Connais-tu leur situation réelle? Ne nous trompons-nous pas sur la leur comme ils se trompent sur celle de tes parents? Une tristesse subite envahit le joli visage de Tiennette: — C’est vrai! fit-elle en baissant la tête. Rémi l’enveloppa de ses bras et l’embrassa: — Allons, ma Tiennette, ne te montre pas aussi exagérément pessimiste que tu étais optimiste tout à l’heure! Je ne cherche pas à t’attrister, mais à te faire voir clairement les choses pour t'épargner une désillusion. Puisse Jancis ne pas avoir à subir d’amertume à son entrée dans la vie! Il garda le silence un instant et ajouta: — Ah! s’il s'agissait d’un Robert SaintYves, je ne.me montrerais pas aussi sceptique! Je suis sûr de son coeur, de son désintéressement. D'ailleurs, Robert n’a pas de gros besoin d'argent. C’est l'amour du luxe qui conduit, même les plus belles âmes, aux pires calculs. Ce n’est pas le cas de notre ami. Mais cette petite folle de Jancis ne daignerait même pas s’apercevoir de sa présence si nous l’invitions et lui rirait au nez s’il demandait sa main! — C'est vai! murmura Tiennette. Cependant, la baronne et Gontran, avenue de Messine, bavardaiïent encore dans le fumoir. — Elle te plaît, cette petite? demandait négligemment la baronne, tout en jetant de biais sur son fils un regard étonnamment aigu. En cet instant, aucun des intimes de Mme de Lerbois n’aurait reconnu en ce visage presque rusé, tendu, volontaire, la physionomie de poupée frivole de leur aimable hôtesse. — Je l'aime, maman, tout simplement ! Elle est adorable! — Méfie-toi de tes enthousiasmes, mon petit! Tu t’es déjà emballé de cette façon, souviens-toi? Le jeune officier haussa des épaules impatientes: — C'était complètement différent! Astu jamais vu une créature aussi délicieuse que cette petite? Aussi ensorcelante? Je l’adore, te dis-je! Du reste, elle est parfaite en tous points. Et si je ne me dépêche pas de faire ma demande, Ambroise va me devancer. Lui aussi est très épris, sans compter quelques autres, mais que je laisse de côté, car je ne leur crois aucune chance de plaire. Ecoute, maman, tu vas écrire aux parents de Jancis pour leur demander sa main! — Tu es fou, mon petit! Il y a à peine plus d’un mois que tu connais cette enfant ! — Qu'est-ce que cela signifie? Cet argument vaudra-t-il aux yeux d'Ambroise? Non, n'est-ce pas? Quand on rencontre la perfection, pourquoi attendre? Jancis a tout: beauté, naissance, fortune. — Fortune? Est-ce bien sûr? Le regard aigu de Mme de Lerbois s’aiguisa davantage. — D'ailleurs, protesta Gontran avec chaleur, même si elle était pauvre, ne suis-je pas riche pour deux?