Le Film (sep 1949)

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32 Tiennette se tourna vers son mari: — Jancis a maintenant le choix entre trois prétendants, pour peu qu’elle le veuille! Quel chemin choisira-t-elle pour trouver le bonheur? — Aucun des trois peut-être. Laissons faire les événements, ma Tiennette et allons-nous coucher... IX ROIS mois s’envolèrent dans une véritable fièvre de plaisirs et de réceptions de toutes sortes pour Jancis. La jeune fille était prise dans un tourbillon tel qu’elle avait à peine le temps de songer... Et, soudain, une grande lassitude morale et physique s’abattit sur elle presque de la mélancolie! Elle désira de tout son coeur retrouver la paix magnifique de KerTraor, les visages aimants de son père et de sa mère, entendre le grondement rageur de l’océan sur les rocs, se rouler dans l’écume des vagues, galoper à travers landes et forêts sur le dos de Bourrasque. — Qu'’ai-je donc tout à coup? se demandait-elle, étonnée de ne plus trouver d’agrément à ce qui l’avait si follement divertie la veille. Elle comprit tout à coup la raison de son désarroi. Un après-midi qu’elle était assise à côté de Tiennette sur la terrasse abritée du soleil par un grand parasol à raies rouges et vertes, sa soeur qui l’observait en silence, étonnée de la voir si calme, lui dit soudain: — À propos, que deviennent Gontran et Max? Les vois-tu toujours aussi souvent? — Oui. Aussi souvent que le leur permettent leurs loisirs. Pourquoi? — Pour rien. Ou plutôt si. J’avais l’idée que Gontran était très épris de toi. Qu'il te plaisait. Que vous vous marieriez peut-être... Jancis ne répondit rien, mais à la douleur aiguë qui traversa son coeur, elle comprit, en un éclair, la véritable raison de sa lassitude. Jour par jour, inconsciemment, n’avaitelle pas attendu des paroles qui n’avaient pas été prononcées? Les yeux de Gontran étaient toujours aussi éloquents, mais ses lèvres n’étaientelles pas demeurées muettes? L'espoir qui, sans qu’elle s’en doutât, avait donné à Jancis une si ardente joie de vivre, s'était éteint en elle, tout doucement, était mort. Elle venait de s’en apercevoir…. Gontran était toujours le même pourtant; la baronne accueillait Jancis avec ia même affabilité.… Alors? La jeune fille ne comprenait pas. Elle ne savait qu’une chose: c’est qu’elle souffrait, pour la première fois, non seulement dans son coeur, mais dans son orgueil. Tiennette devina la mélancolie qui pesait sur sa soeur et, doucement, détourna les pensées déprimantes qui l’accablaient. Pourtant, comme elle voulait savoir ce qui allait advenir de Jancis, talonnée par l'inquiétude au sujet de l’avenir de sa soeur, elle essaya de l’interroger sur Ambroïise de Champart. Oui, Jancis le voyait souvent. Plus jamais, il n'avait reparlé de sa proposition, blessé sans doute dans sa grande vanité par l'indifférence de la jeune fille. Peut-être attendait-il, qu’à son tour, elle lui fit des avances déguisées? — Ah! non, non! cria Jancis, il n’en valait pas la peine! Tiennette, attristée, écoutait. Depuis quelque temps les lettres de sa mère l’emplissaient de chagrin: on sentait la pauvre femme tellement tourmentée à cause de son mari et de sa fille! Elle ne pensait qu’à eux, ne se désolait que pour eux. Jamais, une pensée pour elle-même. “Combien de temps tiendrons-nous encore, écrivait-elle dans sa dernière lettre, je ne puis le dire! Nos créanciers se font de plus en plus exigeants et il nous faudra peut-être vendre Ker-Traor plus tôt que nous ne l’avions pensé.” Un jour, poussée à la fois par son affection et son inquiétude, Tiennette commit l’imprudence de parler de Robert SaintYves à Jancis. — Non, non, je ne l’aime pas! cria cette dernière exaspérée. IL a beau avoir mille qualités, comme tu dis, il n’a rien qui puisse me plaire! Rien! Ah çà! Tiennette, tu as donc résolu de me marier coûte que coûte! A n'importe qui? Du reste, tes beaux projets échoueront fatalement, comploteuse! Car je pars après-demain. Tu as été plus chic pour moi que je ne saurais dire, mais je ne peux plus souffrir Paris. Ah! comme je reverrai Ker-Traor et papa et maman avec joie! Elle se leva brusquement et, avant que Tiennette ait pu dire un mot ou faire un geste pour la retenir, elle s’enfuit les yeux pleins de larmes. Tiennette, clouée sur sa chaise par l’étonnement et le chagrin, se plongea dans ses pensées sombres. Une heure plus tard, pourtant, Jancis avait regagné toute son insouciance. Gaie comme un pinson, elle empilait déjà ses robes dans ses valises, au petit bonheur. Ses gestes trop fébriles, ses yeux trop brillants ne trompèrent pourtant pas la délicate intuition de Tiennette. Consternée à la vue de ces préparatifs, désolée par l'effondrement définitif de tous ses projets, elle s’écria: — Mais tu ne peux pas partir ainsi, Jancis, sans prendre congé de personne! C’est impossible! — Si, repartit Jancis, en entassant de plus bell: ses vêtements dans les casiers, je m'en vais. À tous ceux qui téléphoneront pour demander de mes nouvelles ou pour m'inviter, tu diras la vérité, ou ce que tu voudras, peu m'importe! — Fais comme il te plaira, ma chérie. Rémi ne dit mot quand il fut mis au courant du projet de sa belle-soeur. Il ne se permit aucun commentaire, aucune question, aucun étonnement sur cette décision brusquée. — Vous êtes ici chez vous, Jancis, dit-il simplement, vous reviendrez quand bon vous semblera. — Merci, dit la jeune fille, vraiment touchée, cette fois, par l'affection dont elle était entourée. La veille de son départ, on lui remit une lettre dont l'écriture lui était inconnue. Son coeur battit follement d’espoir. Elie déchira l’enveloppe, seule dans sa chambre, et dès les premières lignes sentit un grand bonheur l’envahir. Mais ses yeux, tout de suite, coururent à la signature, et elle laissa retomber la lettre. Quelle était touchante, pourtant, cette missive, dans 5a brièveté: “J'apprends que vous nous quittez. J’en ai un très grand chagrin, Jancis. Oui, vous serez étonnée. Je n’ai pas su vous faire comprendre le sentiment que vous aviez Le Film, Montréal, septembre 1949 fait naître dans mon coeur. J'étais timide, maladroit, muet en votre présence parce que je vous aime trop, que je redoute par trop d'entendre vos lèvres me condamner au désespoir. Je vous adore, Jancis, et si vous voulez me faire le grand bonheur de devenir ma femme, je n'aurai pas d’autre ambition au monde que de faire de vous la plus heureuse et la plus choyée des épouses. Je vous supplie de me répondre . vite, car je vais vivre d’intolérables minutes en attendant votre réponse. “ROBERT SAINT-VvEs.” Robert Saint-Yves! Elle lut et relut ce nom. Elle avait tant espéré en voir un autre au bas d’une lettre semblable, Elle eut un petit rire pareil à un sanglot. Dire qu’elle s'était proclamée inaccessible au sentiment! Et elle souffrait comme une autre, comme sa mère, ou Tiennette, la petite bourgeoise, auraient souffert à sa place! Et ce pauvre Saint-Vves? Lui aussi était malheureux. Elle, qui se serait peutêtre ri de son désespoir quelques mois auparavant, le comprenait à présent, et le déplorait. S'installant à son bureau, elle écrivit au jeune homme une lettre très affectueuse. Obligée de repousser la demande qui lui était adressée, elle s’efforça de le faire avec beaucoup de ménagements et de douceur. Elle voulut également que Robeït ne se sentît pas blessé dans son orgueil et l’assura que personne ne saurait jamais ce qui restait un secret entre eux. Le départ de Jancis fut mélancolique, en dépit de l’affectation de gaîté de la jeune fille. Sur le quai, quand elle eut embrassé sa soeur et les deux petits, ses yeux, à la dérobée, se dirigeaient constamment vers le portillon. Qui donc espérait-elle voir venir, envers et contre tout espoir? Mais le sifflet retentit, les employés fermèrent les portières à grand fracas, la vapeur haleta péniblement, le train, petit à petit, accéléra sa marche et disparut au prochain tournant. Personne n'était venu! Et, avenue de Messine, la baronne, pressant entre ses mains sèches le front de son fils, lui murmurait d’une voix attendrie, pleine de larmes: — C'est bien, bien, mon cher grand, d’avoir tenu ta parole jusqu'au bout, malgré qu'il t'en coûtât tant! Espère encore! Jancis n’est pas fiancée. Tout peut s’arranger. Attends… J’ai des raisons graves... Et Gontran, les yeux tristes, soupira: — Ah! maman, si vous n’aviez pas été là, je crois que rien n’aurait pu m’empécher de courir à la gare et de la ramener ici! Il faut toute mon affection et la confiance que j'ai en votre sagesse pour accepter pareil sacrifice! X N mois passa de nouveau. Dans l’appartement redevenu tranquille, mais non gai, Tiennette préparait les malles. On allait bientôt partir pour Ker Traor. Ce serait la dernière fois. Il faudrait dire adieu au vieux, au cher domaine, qui serait vendu aux enchères d'ici peu... La jeune femme s’attardait à l'évocation de ses souvenirs d'enfance, tout en pliant soigneusement les minuscules robes de Babou, quand un coup de sonnette impératif résonna à la porte de service.