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faisait peine à voir. Alors, Rémi, une fois de plus, montra la noblesse de son coeur. Malgré les protestations de sa belle-mère, il la ramena à Paris avec Jancis, les installa toutes deux chez lui, tandis que Tiennette cherchait dans les environs un minuscule logement pour y installer sa mère et sa soeur. Elle dénicha, à proximité, deux petites pièces au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne. Elle fit de son mieux pour les meubler d’une façon charmante et les rendre accueillantes aux pauvres exilées. Il était entendu que la mère et la fille prendraient tous leurs repas chez Tiennette, pour leur épargner des frais, de la peine et les tirer de leur triste solitude.
Jancis, farouchement, se refusait à voir âme qui vive, même les plus intimes amis de sa soeur. À la prière de sa mère, cependant, elle fit une exc2ption pour Robert Saint-Vves. N’était-il pas de la famille — ou presque — et n’avait-il pas montré en mille circonstances le plus parfait dévouement?
Des mois passèrent. Pas plus que les amis de sa soeur, Jancis n'avait vouiu revoir les membres de la joyeuse coterie qu’elle rencontrait autrefois chez la baronne de Lerbois.
Cette dernière avait écrit à Mme de Marvan une longue lettre affectueuse, de Deauville, où elle se trouvait au moment de la mort du général. Elle promettait de s'occuper de son amie d'enfance dès son retour à Paris, la plaignait chaudement de son deuil et de sa ruine et lui manifestait l’amitié la plus solide.
Hélas! des mois s'étaient écoulés depuis l'envoi de cette lettre et, ni de la baronne, ni de Gontran, personne n’avait de nouvelles.
Ambroise de Champart, non plus, n'avait plus donné signe de vie. Il devait être reparti, quelque part, sous les tropiques, à ia poursuite de son sport favori.
Pas un mot, pas une plainte n’échappèrent jamais à Jancis. Elle allait et venait comme un corps sans âme. Sa vue ravivait à chaque instant la douleur de 5a mère.
Un jour que la jeune fille se tenait dans le salon de Tiennette avec Mme de Marvan, en attendant le retour de Rémi pour le déjeuner, elle vit sa soeur aînée glisser un petit billet plié dans la main de sa mère. Elle s’en étonna et allait lui poser une question quand l’arrivée de Rémi, accompagné de Robert, détourna son attention.
Ce jour-là, au déjeuner, les deux associés parlèrent longuement d’une secrétaire qui allait bientôt leur faire défaut car elle se mariait prochainement. Tous deux déplorèrent d’avoir à engager une nouveile collaboratrice. Il était difficile d'en trouver une qui fût intelligente, discrète, dévouée, qui prît à coeur les intérêts de l’usine. É
Jancis écouta d’une oreille distraite, sans attacher d'importance à ces propos. Comme elle ramenait sa mère à la maison, elle se souvint du petit billet que Tiennette lui avait glissé avant le déjeuner et lui demanda négligemment ce que c'était.
— C’est le chèque que Rémi remet chaque mois à Tiennette pour nous, mon petit, répondit Mme de Marvan. Le cher garçon! Quel coeur admirable! Et quelle délicatesse! J’ai voulu le remercier. Il m’en a empêché en me disant que ce qu’il faisait était tout naturel.
À ces mots, Jancis était devenue très pâle, puis, très rouge.
— Jé ne savais rien de cela! dit-elle.
— Voyons, mon petit, dit doucement Mme de Marvan, comment aurais-tu voulu que nous fassions autrement? J’ai si peu de chose! Rémi a payé nos meubles, car nous n'avions plus rien. Je me demande même si notre passif ne dépassait pas notre actif et s’il n’a pas réglé la différence? Il est admirable!
Jancis ne dit rien à sa mère, mais le soir, au dîner, comme Rémi préoccupé reprenaït le thème de sa secrétaire, la jeune fille proposa, tout à coup:
— Pourquoi, Rémi, ne me permettriezvous pas de la remplacer?
— Cela ne me paraît pas une mauvaise idée, Jancis. Elle est à discuter sérieusement.
— Quand votre secrétaire s’en va-t-elle?
— Dans trois mois.
— C’est suffisant pour me permettre d’être en mesure de la remplacer?
— Oui, mon petit, si vous apportez beaucoup d’application à votre tâche. Nous ferons l'impossible, tous, autour de vous, pour vous faciliter la besogne.
— C’est entendu, alors, Rémi. Je serai ici demain à neuf heures et vous accompagnerai à l’usine.
— Bravo! bravo! mon petit, fit Rémi.
Mme de Marvan fixait sur sa fille des yeux inquiets, gonflés de larmes. Elle ne savait trop que penser de la décision de Jancis, mais elle souffrait certainement, dans toutes ses idées ‘enracinées d’aristocrate, de voir sa benjamine, son adorable Jancis s’astreindre à une tâche monotone et rebutante.
— Ne te désole pas pour moi, petite mère! lui dit Jancis, le soir même, en lui donnant le baiser du soir, cet emploi vaudra mieux pour moi que l’oisiveté dans laquelle je me mine. Et, puis-je laisser Rémi se sacrifier pour nous? L'argent qu’il nous donne chaque mois, ne dois-je pas le gagner par mon travail? Ce serait abuser de sa bonté que de tout accepter de lui sans lui rendre rien en échange.
— Tu as raison, dit Mme de Marvan en caressant le beau visage pâli de sa fille. Mais j'avais rêvé d’une destinée si différente pour toi! Et ton père, ton pauvre père, quel chagrin et quel remords c’eût été pour lui!
X1]
E lendemain matin, à neuf heures précises, Jancis, strictement vêtue de noir, correcte dans son tailleur de serge, sonnait à la porte de Tiennette.
Babou et Mitou l’accueillirent avec enthousiasme et Rémi lui serra chaleureusement la main:
— C’est bien ça, ma petite Jancis. Vous avez du coeur, du courage. Votre père eût été fier de vous!
Ces paroles mirent du baume sur l’orgueil de Jancis que sa mère, sans le vouloir, ulcérait à chaque instant.
— Vous verrez, poursuivit Rémi, que si vous ne vous découragez pas au début, vous arriverez à vous intéresser à votre travail et à nos affaires, autant qu’à vos jeux mondains. Les affaires sont un sport comme un autre, et on y apporte plus d'âme, car, de leur réussite, dépend le bonheur des êtres qui vous sont chers.
Ces paroles pénétrèrent vivement l’esprit de la jeune fille. Jamais encore, elle n'avait envisagé les efforts des hommes qui
Le Film, Montréal, septembre 1949
peinent sous cet angle. C’était beau vraiment ce que Rémi venait de dire: “Car de leur réussite dépend le bonheur des êtres qui vous sont chers!”
Son coeur se gonfla de reconnaissance et elle monta dans “l’autobus” familial pleine de bonnes résolutions et décidée à remplir sa tâche irréprochablement.
Pendant une demi-heure, la voiture roula à travers des avenues encore à demi endormies, puis, pénétra dans les faubourgs, traversa une banlieue industrielle pleine de maisons sales, délabrées, où des enfants mal vêtus jouaient dans les ruisseaux.
Rémi devina l'impression pénible de sa belle-soeur et lui dit, très grave:
— La vie est bien dure pour ceux qui vivent ici, Jancis. Je fais, quant à moi, l'impossible, pour tous ceux qui dépendent de moi et Robert m’y aide de toutes ses forces. Mais il est plus difficile qu’on ne croit de faire le bien et l’homme est souvent son pire ennemi!
Jancis écoutait ces paroles avec une émotion qui, jusque-là, n’avait jamais touché son coeur. S’était-elle jamais occupée de ceux qui peinent, qui travaillent sans trêve, autrement que pour les dédaigner? A cette pensée, ses joues se colorèrent de honte et ses bonnes résolutions se raffermirent en elle.
Elle n’eut, du reste, pas autant de mérite qu’elle se l’imaginait à les tenir. Rémi l’introduisit dans un bureau propre, clair et gai, qui donnait sur une petite cour intérieure ornée de lierre et de fusains. Devant une large table chargée de paperasses et d’un gros bouquet, une jeune fille blonde, d’une mise nette, très avenante, était assise.
— Mlle Vernuire, présenta Rémi, qui ajouta, très gai:
— Je vous amène ma petite belle-soeur qui prendra votre place quand vous nous quitterez. Elle ne connaît rien du métier, moins que rien! Je vous la confie, MarieThérèse, et vous donne carte blanche. Grondez-la, punissez-la, autant que vous le voudrez!
La jeune fille eut un rire charmant et fit asseoir Jancis devant une machine à écrire. Cette dernière trouva son apprentissage si peu difficile que, lorsque Rémi vint la prendre pour le déjeuner, elle ne s'était pas aperçue que les heures avaient fui!
— Regardez, Rémi, cria-t-elle, je tape déjà avec trois doigts!
Ils rirent tous. Rémi emmena Jancis tout animée.
— Bravo, Jancis! approuva-t-il, enchanté de voir se détendre le visage habituellement morose de sa belle-soeur. Mile Vernuire vous plaît?
— Elle est charmante! Si fine, si distinguée!
— Elle est d'excellente famille, Jancis, et très instruite! Ah! nous allons arracher bien des idées fausses de cette petite cervelle-là!
Mme de Marvan attendait sa fille, presque avec anxiété. Elle fut bien étonnée de lui voir le visage beaucoup plus gai que d'ordinaire, et le dit, ce qui fit rire Jancis.
— Je n'aurais jamais cru qu’on pouvait se passionner ainsi pour la machine à écrire! dit-elle. Je t’apporterai ma première composition, maman, sans une faute!
Le visage de Robert Saint-Yves, quand il entra dans le bureau de Mlle Vernuire,