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16 H
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ORSQUE Josette eut la sensation que la vie battait encore dans sa poitrine, elle crut, tout d’abord, comme dans un cauchemar qu'elle était au fond de la mer, que les crabes la pinçaient ou qu’un poulpe monstrueux l’enserrait dans l’étreinte de ses hideuses tentacules ! Elle ouvrit enfin les yeux. Au lieu de la carapace de quelque monstre marin, elle vit que sa tête reposait contre la poitrine d’un homme. Les pinces qui la ligotaient étaient deux bras solides, musclés et hâlés. Quant à cette sensation de flottement qui la berçait, elle provenait du fait qu’elle était portée, soulevée contre ce torse puis
sant, grâce aux mains qui l’effleuraient .
comme une caresse au rythme d’une marche précautionneuse. :
Elle se laissa emmener comme une captive par celui qui n’était pas un ravisseur mais son sauveteur.
L'homme avançait, chargé de son précieux fardeau. ;
Lorsque Josette consentit à soulever ses paupières, elle était étendue sur un lit de varech, à l’abri d’une anfractuosité de rocher et elle crut lire toute l'extase du monde dans le regard des prunelles de feu qui la regardaient avidement.
Ces yeux de velours lui communiquèrent une commotion magnétique.
Laconiquement le gars parla :
— Vous n'avez pas trop mal ?
—Je ne sais qu'une seule chose, c'est que je vous dois la vie! Ma reconnaissance sera éternelle.
— Je n'ai fait que mon devoir. étiez en péril!
.— C'est la seconde fois que j'échappe à la mort...
La jeune fille résuma brièvement l’histoire de son accident d'automobile.
Et alors, en tombant cette fois-ci, vos jambes n’ont rien eu ?
— Je vais essayer de marcher, pour voir s’il n’y a rien de cassé !
L'homme lui prit délicatement le bras pour l’aider à se relever. Dès qu’elle fut debout la jeune fille eut un frais éclat de rire :
— Oh ! mais, cela va très bien! Je marche! Je vis!
. — Ah! tant mieux!
— Comment vous remercier ?
.. — Mais, le plaisir de vous voir en bon état suffit.
_ Alors, Mlle Pommarieu constata :
— Je dois être bien drôle ?
— Sans vous commander mademoiseile, il vaudrait mieux rentrer. Il importe de vous sécher rapidement et de changer de vêtements.
: — Oui, il me semble. Je suis la fille adoptive de la famille Cornic; j'habite chez eux. Voulez-vous m’accompagner pour leur apprendre avec ménagement ma dernière aventure ?
— Je ne demande pas mieux, mademoiselle !
. L'homme avait la démarche balancée de ceux qui prennent souvent la mer et sont habitués au tangage et aû roulis. Il était grand, musclé, avait les cheveux noirs un peu en désordre, les yeux sombres, magnifiques, le visage très viril, découpé en profil de médaille ; sa chemise ‘de toile s’ouvrait largement sur un torse bronzé, comme l’étaient ses bras et ses jambes nus.
Vous
— Je voudrais connaître le nom de mon sauveteur ?
— Je m'appelle Yann Tromeur.
— Et moi: Josette Pommarieu.
— Vous ne portez pas un nom de chez nous ? Celui des Cornic, par exemple ?
— Îls sont mes parents d'adoption. Et. quel âge avez-vous ?
— Je vais avoir vingt-deux ans.
— J'en ai dix-huit depuis une semaine.
— Vous n’avez pas froid, au moins, après votre baignade forcée ?
— Non, mon cher sauveteur ! Mais je voudrais bien savoir comment cela s’est passé ? J’ai senti que je faisais un affreux plongeon. je me suis moyée au fond de la mer.
— Je rentrais au port, après avoir été à la pêche. Dans mon canot je commençais à replier la voile lorsque j'ai entendu très nettement votre appel de détresse. Vous savez que la.voix porte loin sur l'eau. Avec mon bateau, j'aurais été trop long à venir. Alors je r-e suis jeté dans le courant, j'ai nagé rapidement vers vous, j'ai pu vous attraper à temps, une seconde de plus et vous couliez.… Je ‘vous ai ramenée au rivage en nageant toujours, vous vous accrochiez à moi avec toute la force de l'instinct de conservation qui est en nous.
— Mais, je devais paralyser tous vos mouvements ?
— Certes! Vous ne pouviez m'aider en nageant vous-même, Je traînais un poids mort. Mais il fallait bien vous sauver ou nous périssions tous les deux.
— Je suis bouleversée d'émotion. Non seulement vous tentiez de m’enlever à la mort, mais vous exposiez votre propre vie.
— Les Bretons ne laissent point périr leur prochain. On a l’habitude de lutter avec l'océan.
— Yann, je vis à Roscoff, voulez-vous être mon ami?
— De tout mon coeur, Josette.
Une irrésistible sympathie naissait entre eux, qui dépessait dans l'esprit de Josette la gratitude qu’elle devait à son sauveteur.
Quant à Tromeur, depuis une heure, il vivait dans une espèce d’envoûtement extasié.
Sur la place de l’église, le logis d'Hervé Cornic, qui était patron de pêche et langoustier, apparaissait.
Sur le seuil, la mère Cornic écossait des petits pois en mettant souvent sa main en auvant sous sa coiffe, car elle «espérait» sa pupille qui semblait rentrer bien en retard.
De loin, Josette lui cria :
— Me voilà, chère Mémé !
— Tiens, à c’te heure, tu as fait connaissance du gars Tromeur ? Alors, mon fieu ! te v'là au pays présentement ?
— Oui dame! Je te présente mon sauveteur, je lui dois-la vie!
Alors, devant de fraîches bolées de cidre, les deux jeunes gens firent le récit du faux pas de Josette et comment elle avait été sauvée par Yann Tromeur.
E lendemain du jour où elle avait été secourue par le jeune pêcheur, Josette pénétra comme chaque matin dans la cuisine des Cornic. Elle s’assit sur le banc, devant la longue table de chêne ciré et regarda une fois
Le Film, Montréal, Novembre 1950
encore le cadre qui lui était familier.
Le vaisselier aux faïences claires, le bahut aux cuivres rutilants, la huche, à pain, l’horloge-et, sous la hotte de la vaste cheminée campagnarde où séchaient les grappes d'oignons et les chapelets de saucisses fumées, la bourrée d’ajoncs pétillait.
Toute rieuse, ce matin-là, Josette réveilla la salle où ronronnait le chat en criant à Marion Cornic, penchée vers l’âtre :
— Mémé! J'ai une faim de loup!
Après avoir embrassé sur les deux joues la face rebondie de sa nourrice, Josette, pâmée d’aise, déclara tout à coup sentencieusement.
— Dire qu’à cette heure-ci, je devrais être au fond de la mer !
— C’est vantie vrai! ma Doué! Tu servirais de chair à pâté aux crabes et aux pieuvres! Ah! ce n’est point un feignant que le gars Tromeur! Y ne craint point son mal celui-là. C'est une hardie garçaille! Et puis, c'est quéqu’un de ben «conéquent ». Ah ! oui dame, plus tard, ce sera un mossieu. Quéqu’un de bien, de mieux que mes propres fieux !
Le fils Cornic était inconnu de Josette. Il était embarqué comme mousse à bord d'un terre-neuvas. Une fille était apprentie à la ville. Josette connaissait seulement la dernière, une petite qui allait encore à l’école.
Elle ne savait donc pas de quoi étaient capables les enfants Cornic.
— Oh! Mémé! parlez-moi un peu de mon sauveteur ?
La Bretonne, qui préparait une «cotriade >» pour le repas de midi après avoir ébouillanté un homard, revint au hachoir. pour préparer persil, ail, oignons et fines herbes.
— Yann Tromeur est natif de SaintPol-de-Léon, non loin de Roscoff comme tu le sais. Fils d’un pêcheur, il n’a plus que sa mère. Mais dame, c’est un garçon au-dessus de sa condition. Il est très intelligent, un travailleur acharné. Une garçaille qu'est bien sérieux, là, oui dame, Môssieu le Recteur, autrefois, ayant bien jugé de ses capacités, lui a fait avoir une bourse dans un collège.
— C'est donc cela qu’il a de si bonnes manières ?
— Pour sûr qu’il est bien éduqué. Alors, pour lorsse, il a travaillé un bon coup. Il a zeu des examens. Sûr et certain qu'il sera marin plus tard. Pas sur un canot comme le patron Cornic, mais sur un grand bateau, il aura même peut-être de l’or sur sa manche!
— Ou de la laine, maître ?
— Peut-être ben. Mais j'le répétions, sûr et certain que ce sera un Môssieu.
— Serait-il le plus humble pêcheur, je sais que je lui dois la vie.
— Pour sûr, ma mignonne à moi. Et, avec ça, il est bien gentil, Yann, point fier et ben aimable.
— Tu sais, Mämé que nous allons devenir une paire d'amis. Il veut bien venir avec moi afin de partager quelques distractions.
comme quartier
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Josette avait dit vrai, Yann et elle se livrèrent d'amitié. Celle-ci qui recevait de larges mensualités envoyées par ses parents, afin de payer sa pension ét ses soins, voulut offrir une somme d'argent