Le Film (août 1951)

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Le Film, Montréal, août 1951 me dont le coeur souffrait de voir ses pauvres petits privés de leur maman. Elle n’osait les chagriner en leur interdisant leur plaisir favori: courir les prés et les bosquets, dénicher des lapins, et dresser des collets… Car Danny avait conquis l’amitié d’un vieux braconnier qui l’emmenait volontiers avec lui «faire un tour de bois », tandis que Germain était déjà au lycée. Bientôt, ce fut le tour de Danny de s'asseoir aux côtés de ses petites camarades de pension, sur les bancs d’une classe d’un collège de Niort. Les années passèrent vite de la sorte. M. de Rouvières, toujours occupé par ses travaux, dans un laboratoire qu'il avait fait installer près de la bibliothèque de la vieille demeure. Tante Berthe avait vu ses cheveux blanchir, et Germain, qui préparait maintenant le concours d’entrée à Saint-Cyr, était un vrai gars, solide, trapu, plein de vie et d’entrain. Il retrouvait sa soeur à chacune des vacances avec un véritable enthousiasme! Ils reprenaient ensemble leurs grandes randonnées à travers le pays, se grisant de grand air et de soleil. « Garçon manqué!» disaient de Danny ses camarades, et c'était bien vrai, elle n’aspirait toute l’année qu’à ces deux mois de liberté pleine, où elle pouvait retrouver au château ce frère chéri qui l’entraînait impétueusement par monts et par vaux. Ils avaient chacun leur petit poney, et partaient le matin, sous l'oeil attendri de tante Berthe, en emportant un casse-croûte qui leur permettait de ne rentrer que le soir à la demeure seigneuriale. Souvent ils ne voyaient même pas leur père, qui se faisait servir ses repas dans son bureau. Seul, le dimanche, les deux enfants devaient rester au château, assister au cérémonieux goûter que M. de Rouvières offrait immuablement à ses amis: le curé du village qui venait quelquefois après les vêpres, le notaire, sa femme et ses filles, Christiane et Juliette, ainsi que quelques autres notabilités des environs. Les deux fillettes du notaire nourrissaient envers Danny un mépris à peine dissimulé et, ce fut lors d’une de ces réceptions honnies de la petite châtelaine qu’elles eurent un jour à son égard une réflexion blessante qui eut sans doute les plus grosses conséquences. À quinze ans on n’a pas toujours la tête tournée par la coaquetterie, et Danny rêvait certainement plus à quelques courses échevelées dans la plaine qu'aux parfums et à la toilette. Christiane et Juliette discouraient ensemble beauté et peinture, ignorant volontairement leur jeune amie, lorsqu'elles prirent tout à coup conscience de sa présence pour lui demander d’un air faussement attendri comment la jeune fille pouvait supporter ses taches de rousseur. C’est qu’en effet sur le minois de Danny avec son petit nez retroussé effrontément, se trouvaient disséminées, çà et là, quelques légères taches de son qui donnaient un air encore plus sauvage à ce visage aux traits accentués, où seuls les yeux semblaient continuellement refléter les horizons purs des sites qu’ils aimaient contempler. Danny ne répondit rien, haussant seulement les épaules, et elle abandonna ses compagnes à leurs propos puérils. Mais le soir, elle eut ce geste encore inconnu d'elle, de regarder longuement son visage dans un miroir. Elle tarda à s'endormir, et bientôt de lourds sanglots s’échappèrent de l’oreiller où elle avait enfoui sa tête ; ses longues boucles étaient secouées des hoquets douloureux de son chagrin. Laide, elle était laide! Brusquement elle prenait conscience de sa laideur, ou plus exactement de son manque de féminité. Elle ressemblait étrangement à son frère ; sa mâchoire lourde, sa bouche large, ses lèvres charnues et son nez trop court lui donnaient une allure un peu masculine ; elle semblait être bien ce «garçon manqué» dont on lui avait tant rabattu les creilles, sans qu’elle y prît plus d’attention qu’à une boutade… Et ces taches de rousseur, auxquelles elle n'avait pas encore fait attention! Ces taches de rousseur qu’on venait de lui reprocher si stupidement ! La pauvre petite Danny sanglotait éperdument ; sa coquetterie féminine surgis L'Amour, une fois de plus, joue et gagne ! Un petit roman d'amour, agréable et rafraichissant, qui vous fera oublier un moment les petits ennuis de l'existence. sant brusquement des nébuleuses aspirations de la fillette vint éclater à la surface de ses quinze ans! Laide! Laide! Elle était laide! Et plus elle se regardait dans cette glace diabolique, plus elle contemplait ses paupières bouffies par les larmes, ses pommettes larges et ses lèvres trop épaisses, plus elle trouvait tout à coup une étrange et amère saveur à la vie. Estce donc cela que les garçons ne lui envoyaient pas des billets doux, et des poèmes comme à certaines de ses amies ? Etait-ce donc pour cette raison qu’ils la considéraient en camarade et non en jeune fille ? Elle qui avait été si fière de cette camaraderie eut brusquement conscience d’une infériorité sur les autres! C’est parce qu’elle n'avait pas ces traits fins et réguliers, cet épiderme velouté, et qu’au contraire le soleil avait buriné son visage, tanné sa peau que les regards des hommes ne la blessaient pas lorsqu'elle allait au bal ou qu’elle était invitée dans une réunion... 19 CHAPITRE II E caractère de Danny changea du jour au lendemain, et la compagnie même de son frère sembla lui peser. Elle partait seule, fréquemment, à l’aube, sur son cheval, ne rentrant qu’à l’heure du repas. Un jour même, elle ne rentra pas et l'inquiétude gagna toute la maisonnée. C’est à l’heure du déjeuner que M. de Rouvières interrogea vivement sa bellesoeur comme nous le rapportions au début de ce récit. Tante Berthe avait répondu avec son air réprobateur et en soupirant longuement, que Danny devait être encore à courir la campagne... Un long silence succéda au mouvement d’impatience du châtelain. Enfin la bonne tante se décida et dit doucement : — Danny me paraît étrange depuis quelques jours; vous devriez, Edouard, vous en occuper un peu plus! Le vieil homme semblait s’étre éveillé d'un rêve comme s'il s’apercevait seulement qu’il avait une fille. Son regard se tourna vers son fils. Germain avait abandonné ses livres de mathématiques, et levait fréquemment les rideaux de la fenêtre pour voir si sa soeur ne revenait pas. — Danny est très nerveuse depuis quelques jours, père. Je crois qu’elle doit manauer de distractions ! — … De distractions! Mais elle ne se plaît qu’à courir la campagne !… Elle en aura bientôt de la distraction avec son baccalauréat ! Cependant, en dépit de son ton cassant, on sentait que le châtelain était inquiet. Au début de l'après-midi, Germain n’y tint plus, et il enfourcha son propre cheval pour aller reconnaître les lieux où Danny aimais se promener et où elle aurait pu être victime d’un accident quelvonque. Le jeune homme revint deux heu1es après sans avoir rien découvert, profondément tourmenté que sa soeur ne fût pas encore de retour. > Toute la journée s’écoula sans que Danny donnât signe de vie et le châtelain arpentait nerveusement les dalles du hall de la vieille demeure tandis que tante Berthe sur le perron scrutait anxieusement l'horizon. La nuit était presque tombée lorsque apparut au bout du chemin tortueux qui conduisait à la grande bâtisse un vieux berger du pays avançant péniblement en tenant dans ses bras le corps pantelant de la jeune fille. Très pâle, sa tante avait poussé un cri et s'était élancée vers le paysan. — Qu’a-t-elle, mon Dieu ? Que lui estil arrivé ? L'homme qui peinait sous son fardeau ne daigna pas répondre, et ne s’expliqua que lorsqu'il eut déposé le corps de Danny sur un canapé du salon. Le châtelain l’interrogea vivement : — J'avais vu not demoiselle traverser au grand galop la futaie où j'étais avec mes bêtes, et j'avais tout de suite pensé qu’elle risquait de se rompre les os si l'animal n'était pas habitué au terrain rocailleux qui s'étend par là. Ça n’a point manqué : ils ont fait une chute terrible. Le cheval est resté là-haut, je pense qu’il doit avoir quelque chose de cassé J'ai ramené la demoiselle! C'est tout.