Le Film (août 1951)

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20 Le vieux se proposa pour aller chercher le médecin au bourg, et le châtelain acauiesçsa après l’avoir remercié de son dévouement. — Je n’oublierai pas votre geste. mais de grâce, faites vite pour alerter le docteur ! 1 M. de Rouvières semblait absolument désemparé. Agenouillé au chevet de sa fille, il rectait muet, sans un geste, incapable de réaliser pleinement ses responsabilités ; sa belle-soeur avait tout de suite dégagé la chevelure de la blessée, découvrant une légère plaie à la tempe d’où coulait un mince filet de sang. Sous l’effet d’un pansement humide, Danny ouvrit doucement les yeux, regardant autour d’elle avec étonnement. Son regard fixa un moment son père, puis très lente ment ses paupières retombèrent ; elle balbutiait des mots sans suite, dévorée par un délire subit. Le médecin arrivé peu après diagnostiqua une très forte commotion. La blessure était bénigne en elle-même. La convalescence de la jeune fille fut rapide, et peu à peu chacun reprit ses habitudes dans le vieux château. Le maitre du logis se remit à ses recherches scientifiques ; tante Berthe reprit ses occupations, et Germain revêtit bientôt l’uniforme de saint-cyrien. La santé de Danny avait été assez fortement ébranlée par cette chute de ch:val, et lorsqu'on lui annonça qu’on avait dû abattre sa pauvre monture blessée, elle éprouva un tel chagrin que l’on craignit de nouveau pour sa santé. Cependant, la jeune châtelaine avait repris ses promenades solitaires au milieu des bois et des prairies sans fin du Bocage vendéen, gardant souvent lors de ses entrevues avec ses parents un mutisme incompréhensible. Jamais plus on n’avait parlé de la remettre en pension, et la grande tourmente qui devait souffler durant cinq ans sur le monde se déclencha soudain. Germain avait gagné ses galons de lieutenant en Lorraine, puis, la débâcle venue, sa famille apprit qu’il s'était rallié aux Forces Françaises Libres. Son père avait alors entrepris la réalisation d’un réseau de renseignements, mais par un soir de décembre, la Gestapo mettait fin à ses activités. Il ne devait plus jamais revoir les vétustes pierres de son domaine. Dans l’immense et glaciale demeure, Danny reste seule avec tante Berthe, maintenant toute recroquevillée sur elle-même par les ans. Vinrent les heures joyeuses de la Libération et de la victoire. Germain reparut au château, vêtu de son sémillant uniforme de capitaine, la poitrine constellée de décorations. Il avait retrouvé sa petite soeur avec un enthousiasme merveilleux ; seul le lourd calvaire de leur père assombrissait leur bonheur. Tante Berthe souriait à la juvénile tendresse réciproque du frère et de la soeur ; durant la permission du jeune officier, ce ne fut que promenades équestres et parties échevelées à travers la campagne. Danny conduisait son frère dans tous les recoins du domaine patriarcal, fière de lui montrer ses capacités de régisseur, fière aussi de côtoyer ce héros. Ses magnifiques che veux, rejetés en arrière, croulaient en boucles soyeuses que n'avaient jamais caressées les mains profanes de la coiffeuse, encadrant ce visage hâlé par le soleil, aux traits accusés, presque masculins, qui avaient fait le désespoir de la petite fille. Toujours vêtue d’une culotte de cheval doublée de cuir, bottée, sanglée dans une veste de velours décolorée par la pluie, Danny semblait vivre pleinement, abondamment. Elle avait retrouvé son rire frais, et elle bavardait de nouveau le soir après le repas, écoutait les récits de son frère, racontant volontiers les anecdotes sur l’occupation du pays. Tante Berthe comprenait maintenant qu'il manquait un compagnon à sa nièce, et que sa présence de femme âgée ne pouvait compenser cette solitude où vivait depuis des années ia jeune fille. Bientôt, son frère reparti, elle retomberait sans doute dans sa mélancolie, son mutisme étrange qui succédait à d’exubérants accès de tendresse pour sa tante ! Personne ne venait jamais plus au château. Le curé était venu plusieurs fois après l'arrestation de M. de Rouvières, mais Danny toujours absente n'avait pu le recevoir. Il n'avait plus reparu.. La route du vieux castel, au sommet de laquelle les deux tours moyenâgeuses dressaient leurs créneaux vers le ciel, semblaient avoir été désertées par les humains ; seuls les sabots de la monture de Danny en frappaient chaque jour les cailloux et froissaient les broussailles ! CHAPITRE III UELQUES jours avant de rejoindre son unité, Germain, qui avait mûri son projet, tenta d'évoquer le mariage possible que pouvait contracter sa soeur dans un avenir peut-être prochain. Ils étaient assis dans la bibliothèque, fumant tous deux en attendant que Berthe vint les chercher pour le repas. Danny regarda son frère avec ses grands yeux pleins de reproches, comme si l’idée seule du mariage lui apparût saugrenue. — Voyons, Germain, crois-tu vraiment que je sois faite pour l’amour ? Elle avait tapé du bout de sa cravache, qui ne l’abandonnaïit jamais, sur ses bottes et secoué ses boucles blondes comme un jeune animal. — Je suis laide, Germain, et qui voudrait de moi ?.… Le jeune capitaine tenta vainement de protester. Il admirait au contraire secrètement et sincèrement l'allure de sa soeur. Cette taille élancée, cette démarche martiale que possèdent peu de femmes, et qui permettait à sa soeur de porter avec une rare élégance cette tenue d’amazone ; sa poitrine, petite et ferme, que nul artifice ne venait déformer, toujours moulée par un chandaïl ou une petite chemisette de ton vif ; il regarda ce visage énergique, ces taches de rousseur presque effacées par le hâle du soleil, et il sourit. «Elle ce trouve laide parce qu’elle ne ressemble pas à toutes ces petites pimbêches capricieuses au visage fardé et à la démarche de simili-princesse… songea-t-il, et pourtant si j'avais à choisir une compagne, je la désirerais telle qu’est Danny ! » — Je serais bien incapable de porter une toilette de bal, et personne ne vient ici. D'ailleurs, en attendant que tu reprennes Le Film, Montréal, août 1951 ta place, j'ai bien d’autres chats à fouetter qu’à parler d'amour avec un quelconque godelureau !… Je vois bien que je finirai mes jours vieille fille ! Germain sourit. Peut-être l’image de ses camarades, aux côté de sa chère soeur, prenait-elle forme dans son esprit ? Il ne dit rien de cela cependant, et se penchant un peu en avant, il prit les mains de Danny : — Je te jure que si tu n'étais pas ma soeur, tu serais ma femme ! dit-il. Danny eut cette sensation, inconnue d'elle, de rougir violemment. La vieille tante vint heureusement mettre fin à son trouble en annonçant le repas : — Allons, les enfants, à table ! CHAPITRE IV ERMAIN avait quitté depuis déjà un mois le domainc ancestral où il était venu écouler ses quelques jours de permission. Danny avait repris ses chevauchées sans fin, allant visiter ses fermiers, parcourant les forêts à la poursuite du gibier et surveillant elle-même ses chasses. Il semblait cependant que le court séjour de son frère au château lui avait fait retrouver son équilibre moral et sa bonne humeur de jadis; c’est en chantonnant qu’elle revenait maintenant le soir au logis et s’asseyait à la grande table de la salle, en face de sa tante qu’elle entretenait gaiement des menus incidents de sa journée, tandis que leur unique domestique, Marie-Louise, les servait. La nouvelle inattendue du départ de son frère vers l’Extrême-Orient avec les troupes du Corps expéditionnaire, qui devait lui parvenir quelque temps après, assombrit son caractère et sa vieille tante la revit rester songeuse et mélancolique des heures entières. Deux: longs mois s’écoulèrent, et un beau matin, alors, qu’elle s’apprêtait à partir comme à l’habitude pour sa tournée quotidienne dans les environs, le facteur l’interpella en lui remettant une lettre. — Voici des nouvelles de M'sieur Germain ! L’enveloppe était effectivement timbrée d’Indochine. La jeune fille laissa tomber sur le brave homme son regard froid, ne voulant pas montrer cette envie, pourtant dévorante, qu’elle avait de décacheter et de lire la missive. Le facteur s’éloigna avec un léger haussement d’épaules. «Ce n’est pas une femme, murmura-t-il pour lui-même, c’est un dragon !.… » À tout moment, mais plus encore peutêtre devant les étrangers Danny cherchait à lutter contre elle-même; les moindres impulsions étaient contrôlées par un amour-propre qu’elle s'était entièrement forgé. Son caractère, naturellement insouciant et gai, était dompté par sa volonté de faire front à toutes choses et à tout propos ; elle aurait voulu — elle le désirait peut-être ardemment encore — être une jeune fille comme les autres, de celle qui n’approfondiscent pas les gens et les sentiments, une jeune fille comme celles qui se laissent volontiers conter fleurette et qui vivent avec leurs petits secrets d'amoureuse, leurs rendez-vous mystérieux, leurs billets doux laconiques, mais si précieux !