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Le Film, Montréal, août 1951
LAURENCE OLIVIER
[ Suite de la page 11]
moustache dans Le Héros et le Soldat (Arms and the Man), il a présenté de façon admirable le portrait d’un soldathéros d’opérette. Celui de Richard Crookback (Richard III), avec son long nez pointu frémissant d’une joie odieuse, était une étude remarquable de méchanceté finement distillée. Avec une versatilité étonnante il a passé successivement du rôle du fougueux Harry Hotspur, à l'esprit vif se débattant contre un malencontreux bégaiement, à celui du Juge Shallow, nain difforme à la voix de fausset, portant un bouc et un bonnet de nuit rose. Surpassant même cette dernière métamorphose, il se transforma, au cours d’une même représentation, d’un terrifiant Oedipe ayant atteint aux confins de l’angoisse et de la tragédie humaine, et un Mr. Puff burlesque, prisant son tabac dans Le Critique de Sheridan. Il fut enlevé dans les airs au moyen d’un accessoire de décor, visé d’un coup de canon et projeté sur la scène du haut d’un rideau.
Après ceci, il ne lui restait plus qu’à jouer le rôle du roi dément dans Le Roi Lear, pour réfuter l’assertion de Charles Lamb, selon laquelle cette pièce ne se prête pas au jeu des acteurs. Sous de longs et blancs cheveux et une neïigeuse barbe flottante, il affecta la voix chevrotante, se brisant de temps en temps, la démarche incertaine et les membres tremblants de la vieillesse approchant sa limite de résistance. Et pourtant, rien de sénile dans ce portrait. Il révéla toute la force de caractère ainsi que toute la faiblesse du roi banni et le présenta comme un être terrible dans ses précipitations fougueuses et les emportements de sa colère. Certains parmi les critiques se demandèrent si jamais acteur avait surpassé la puissance
de son jeu, sans excepter même Edmund Kean.
Laurence Olivier est né à Dorking dans le Surrey, et son père, un prêtre AngloCatholique, eût aimé le voir suivre la même voie. A l’âge de onze ans, Laurence joua le rôle de Catherine dans une représentation de La Mégère Apprivoisée de Shakespeare, donnée par le groupe des enfants de choeur de son école. Après la fin du spectacle, une dame souriante aux cheveux argentés lui caressa le front et le félicita. Son nom était Ellen Terry. Une autre actrice célèbre qui s’intéressa à lui est Sybil Thorndike. Au cours d’une représentation de Henry VIII, dont cette dernière était la vedette, et dans laquelle il joua un rôle de figurant, il fut remarqué par Sir Barry Jackson qui l’invita à se joindre à la troupe théâtrale qu’il dirigeait à Birmingham. C’est avec cette troupe qu’en 1928 il fit ses débuts à Londres dans une pièce de Lord Tennyson intitulée Harold.
Pour les membres du public qui connaissaient la guerre par expérience, les bravades Tennysoniennes avaient un caractère chimérique dans les scènes guerrières de Harold. Entre-temps, un auteur
de théâtre inconnu, du nom de Sheriff, venait d'écrire une pièce d’un réalisme cruel ayant la guerre comme sujet, intitulée : La Fin du Voyage (Journey's End). Cette pièce fut mise en scène par la Société Théâtrale (Stage Society) pour deux représentations d’essai, et Olivier joua le rôle du Capitaine Stanhope. Par suite du succès obtenu on lui offrit un des rôles les plus convoités à Londres — celui du protagoniste dans Beau Geste, l’histoire de la Légion Etrangère — dont le livre et le film étaient déjà célèbres, adaptée maintenant pour la scène. Il accepta. Beau Geste ferma ses portes au bout d’un mois. La Fin du Voyage tint l'affiche pendant deux ans, et Colin Clive qui joua le rôle du Capitaine Stanhope, acquit la renommée grâce au succès de cette pièce. A l’époque, cela paraissait être un dur revers de fortune, mais si l’on reporte son regard en arrière, on est enclin à croire qu’à quelque chose malheur est bon. Car
il existe pour chaque artiste créateur un
cours naturel de progression et si le sort lui est clément il ne lui permet d’atteindre son but que graduellement. Au cours des dix premières années de sa carrière, Olivier joua dans un très grand nombre de pièces, certaines bonnes, d’autres mauvaises, mais dont aucune n’eut un long succès. Il acquit, grâce à ces changements constants, une très vaste expérience ; mais ce n’est qu’en 1936, lorsqu'il apparut dans des rôles Shakespeariens avec la Troupe de l’Old Vic, qu’il fut à même de donner la mesure de son talent. Il fut Roméo, Mercurio, Hamlet, Sir Toby Belch, Macbeth, Henry V, et puis Hamlet à nouveau dans un palpitant spectacle se déroulant sur les remparts du Château de Kronborg à Elseneur.
On ne peut totalement séparer le jeu d’un acteur de son ascendance ou même de sa vie privée. Laurence Olivier commençait à jouer des rôles royaux où guerriers avec une vigueur et une puissance qui électrisait son auditoire. Ses ancêtres avaient combattu les Huguenots, hommes durs et bataïlleurs. Et dans d’autres rôles, particulièrement dans celui de Roméo, il communiquait comme par enchantement, le profond émoi d’une passion romantique. Il venait de s’éprendre de Vivien Leigh qu’il épousa peu de temps après.
Vivien Leigh me dit un jour qu’il aurait réussi brillamment dans n'importe quelle autre carrière qu’il se fût choisie. Je crois qu'il n’y a là que très peu d’exagération. Il s'intéresse vivement aux questions médicales et aurait probablement pu être un médecin ou chirurgien de renom. Il est aussi quelque peu acrobate. Il écrit des vers. Ses amis furent une fois surpris en recevant des cartes de Noël portant des vers de sa composition dans le style de différentes époques, certains dans un anglais pré-Chaucerien,
Il fut ennobli en 1947. C'était l’époque où il avait dû se faire teindre en blond pour jouer le rôle de Hamlet, film réalisé
sous sa propre direction. Par ses puissantes créations, tant sur la scène qu’à l’6cran, Laurence Olivier possède une influence dans ces deux domaines qu'aucun homme auparavant n’a su concentrer entre ses seules mains. Etoile de premier plan, au théâtre comme au cinéma, c’est aussi un grand metteur en scène en même temps qu’un des principaux directeurs de théâtre, régisseur et directeur de production.
Durant ces dernières années la montée vertigineuse de son succès ne semble pas s'être ralentie. Son film Hamlet dépasse en grandeur son Henry V. En GrandeBretagne deux millions de personnes allèrent voir ce film — avant sa distribution générale. Aux Etats-Unis il a créé un record pour les films de production britannique en tenant l'affiche pendant plus d’un an au Park Avenue Theatre de NewYork. Dans le monde entier il a gagné un nouveau et vaste public en faveur de Shakespeare.
Sa récente tournée théâtrale en Australie lui rapporta, ainsi qu’à sa femme, de nouveaux lauriers. Partout où ils apparurent, ils furent assiégés par des groupes d’admirateurs enthousiastes. Ici en Angleterre, il a choisi et présenté toute une succession de pièces à grand succès.
Quant à son talent, il acquiert toujours plus de puissance, de subtilité et de précision. L’an dernier, par exemple, son interprétation magistrale parvint à nous présenter un Richard III impassible, racé, obséquieux et orgueilleux à la fois. Au cours des quatre années écoulées depuis sa précédente apparition dans ce rôle, son Richard avait acquis plus de stimulant, avait plus d’esprit, était plus subtil et semblait doué d’un pouvoir de serpent encore plus malveillant.
Que lui réserve l'avenir? Voilà un sujet sur lequel il se refuse à faire des prophéties. Cette année-ci marque une nouvelle époque dans sa carrière en tant qu’acteur, metteur en scène et directeur du Théâtre St. James, lequel fut sous la direction de Sir George Alexander pendant un quart de siècle. Olivier cherche de nouvelles pièces, espère découvrir de nouveaux talents et continuer la tradition théâtrale d’Alexander.
Il se peut qu’il joue à nouveau un de ses grands rôles Shakespeariens, entre autres, peut-être, Le Roi Lear, une de ses dernières interprétations, au sujet de laquelle l'opinion des critiques fut partagée. Il est même possible qu'Arthur Rank qui finança ses films Henry V et Hamlet l’incite à réaliser un autre grand film Shakespearien — peut-être bien Macbeth.
Quelle que soit sa décision, elle aura une influence vitale dans l’histoire de l’art dramatique. A 43 ans, Laurence Olivier se trouve au summum de ses facultés, et probablement, les chapitres les plus importants de sa vie restent encore à écrire.
LANGSTON Day