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s Elle secoua son front douloureux à force de penser. À quoi bon ressasser toutes ces amertumes ?
Il était plus de dix heures. Là-bas, dans la petite cuisine, le repas attendait, froid et figé, au bord du fourneau. Elle n'aurait pas le courage d'en avaler seulement une bouchée. Tristement, elle ôta le couvert, rangea la pièce et éteignit les lumières. En faisant cela, il lui sembla consommer définitivement -son malheur. Pourtant, l'infidèle aurait pu, comme les autres nuits, rentrer aux approches de l’aube. Cela même elle ne l’espérait plus. Malgré ses cruautés envers elle, jamais il n’avait omis l'envoi du petit bleu qui sans doute, le mettait en règle avec sa conscience. Ce soir, rien n'était venu. Oh! comme elle se serait inquiétée durant l’époque où elle était encore une épouse qui se croyait aimée! Des visions sanglantes d’accidents l’auraient assaillie vingt fois, elle aurait décroché le téléphone, demandé le commissaire, la préfecture de police, le journal auquel Maxime donnait régulièrement des nouvelles et des chroniques littéraires. Femme: trahie, elle ne se donnait plus ce ridicule, craignant de s'entendre répondre que si la police avait à s'occuper de tous les maris inconstants, il faudrait centupler ses effectifs.
Avant de passer dans la chambre à coucher où elle savait bien qu’elle trouverait, au lieu du repos, l’insomnie Jancinante, Suzanne machinalement ouvrit la porte du cabinet noir où son mari et elle rangeaient leurs vêtements. Si elle avait gardé au fond de son coeur une parcelle d'espérance, elle aurait reçu la brutale confirmation du malheur qu’elle redoutait. Au mur, les cintres pendaient; veufs des costumes qu'ils avaient supportés. Ici, était la place du smoking. Là, celle du costume neuf que Maxime n'avait pas encore étrenné. Inutile de courir à l'armoire, d'ouvrir les tiroirs de la commode, elle les retrouverait également vides de leur contenu. A terre,
un veston oublié ou dédaigné gisait,
Sans doute, Maxime avait-il, le matin même, profité du moment où la jeune femme était descendue afin de faire son marché.
Un flot de larmes monta à ses yeux. Avec des gémissements de bête blessée, elle se laissa tomber à terre, sur ce vêtement qui gardait encore l'odeur de fougère dont Maxime se servait habituellement. Elle pleura longtemps, la tête enfouie dans l'étoffe qui, à force d’avoir été portée, avait quelque chose
_ de vivant. Puis, la fatigue fut la plus
forte et-un Jourd sommeil, durant
quelques heures, l’arracha à sa souffrance
. e
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S'étant interdit la moindre démarche, Suzanne se trouvait, du jour au lendemain, en face des difficultés matérielles d'une vie à réédifier. Maxime était parti sur un coup de folie, sans même songer à ce que deviendrait la femme qu’il abandonnait, emportant avec lui argent et titres, tout ce qui constituait son avoir. Par bonheur, quelques jours auparavant, il avait, sur ses gains journalistiques, remis à Suzanne un peu d'argent pour le ménage. Elle avait aussi conservé un livret de caisse d'épargne sur lequel elle plaçait ses maigres économies de jeune fille. Par oubli, elle ne l'avait pas fait transférer à son nom ‘de femme. Cela éviterait toutes complications. En tout quatre billets de mille. De quoi attendre, évidemment. Il lui faudrait, dès le lendemain, se mettre à la recherche d’un emploi. Le trouverait-elle, par ces temps de chômage? Dans:un mois, elle devrait acquitter un trimestre de loyer si elle tenait à conserver cet appartement, trop lourd cependant pour elle, mais auquel elle se sentait encore attachée par toutes les fibres de son être endolori.
Certes, il lui faudrait bientôt arriver à l’abandonner, ainsi que tous les chers souvenirs de son trop court bonheur, mais elle entendait écarter la douloureuse échéance, attendre, avant de rompre la dernière amarre. Attendre quoi? Le retour de l’infidèle qui, lassé de sa nouvelle amie, s’en retournerait peut-être vers l'épouse dont il connaissait assez la patiente tendresse pour espérer son pardon ?
Ceux-là même qui, dans la maison . Charbonnel, fut assez heureuse pour
et dans le voisinage, avaient commenté avec plus ou moins de bienveillance le malheur arrivé à la epetite dame du troisième », lui en voulant sans doute de ne mettre personne au courant de sa détresse, furent bientôt désarmés par la dignité absolue dont fit preuve Mme Lheurtier. Non seulement elle n'avait demandé aucun crédit, mais, au bout de trois semaines, ses sorties à une heure matinale, ses retours d’une régularité d'horloge apprirent aux curieux qu'elle s'était remise au travail
— C'est ce qu’elle avait de mieux à faire, déclara l'épicière, une grosse blonde peu encline à s’apitoyer sur le malheur des autres femmes, car le bruit courait que ses infortunes conjugales suffisaient à absorber sa faculté de s'émouvoir.
— N'empêche que, jolie comme elle l'est, affirma le mari de Ja concierge, lequel était un homme de goût, il ne lui aurait pas manqué d'occasions de
se venger et, en même temps, de s'of
Le Film, Montréal, juin 1958
frir du bien-être au dehors, dans une banque, je crois.
— Ah! c’est dans une banque qu’elle
* s'est casée ?
— Dame, je le suppose. Au Crédit du Nord. On est venu demander des renseignements.
C'était, en effet, au Crédit du Nord que Suzanne avait été engagée en qualité de sténo-dactylo. Lassée par une quinzaine de démarches, elle avait volontairement subi cette dernière humiliation: se représenter au bureau qu'elle avait quitté avec des éclairs dans les yeux et un front de victorieuse peu de jours avant de devenir Mme Lheurtier,
Il lui fallut subir les regards scrutateurs, certains narquois, d’autres apitoyés, de ses anciennes compagnes. Dans le bureau du chef auquel elle s'était fait annoncer, elle éclata brusquement en sanglots, incapable de formuler sa requête. Par bonheur, M. Charbonnet était un brave homme. Tout de suite, il devina la lamentable aventure, n’exigea nulle confidence. Malheureusement, il n’y avait dans son service aucune place disponible. Déjà, la jeune femme s’apprêtait à prendre congé. Le chef du personnel la retint.
— Attendez, mon enfant ; j'ai un camarade qui travaille au Crédit du Nord. Je me souviens maintenant qu’il m'a parlé du prochain départ de sa secrétaire. Si vous voulez, je pourrai vous recommander à lui. Oh! je ne promets rien, on a peut-être engagé une autre sténo-dattylo, En tout cas, vous pouvez tenter la démarche.
Elle remercia avec effusion et, nantie d’un mot très chaleureux de M.
être admise. :
Sa vie laborieuse reprenait son cours. A..certains moments, il lui semblait que rien ne s'était passé. Son trop bref bonheur, ses souffrances, un rêve dont il ne subsistait que cette tristesse dont elle ne pouvait se défaire et ce nom, auquel elle ne répondait pas toujours, tellement il lui aurait paru simple et naturel de s'entendre appeler, comme par le passé, Mile Suzanne Vannel.
Le printemps succéda ainsi à l'hiver sans que l’abandonnée se soit rendu compte du temps qui avait coulé. Un matin, en se penchant à sa fenêtre, elle reçut aû visage une bouffée de parfums. Cela lui fit comprendre que, là-haut, sur lt butte, le grand jardin était tout fleuri de lilas et de cytises. Elle n'aurait eu que quelques pas à faire pour s'y rendre. Le logement qu’elle occupait encore était situé rue André-del-Sarte, On se trouvait au dimanche. L’employée avait toute sa journée devant elle. Demeurerait-elle