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plaça qu’une soucoupe sur laquelle étaient disposés quelques morceaux de sucré. Comme Suzanne hésitait, le jeune homme fit le geste qu'elle attendait sans doute. Il avança vers elle les petits cubes enveloppés dans du papier.
— Servez-vous, madame !
— Je vous remercie, monsieur.
— Prenez les morceaux que vous désirez, j'en redemanderai si cela est nécessaire.
— C'est vrai, on n’a mis qu’une soucoupe, mais c’est bien suffisant.
— Peut-être le garçon a-t-il cru que nous étions ensemble ? :
En disant cela, le jeune homme avait rougi. Suzanne, malgré elle, remarqua qu'il avait le teint clair et une peau très fine. Elle lui donnait à peine vingt ans. De son côté, il avait dû l’examiner et s'apercevoir qu’elle portait à la main gauche une alliance. Il se pencha vers elle et, d’une voix qui tremblait un peu: :
— Si je n'avais craint de vous compromettre, madame, je vous aurais en effet priée de m'autoriser à vous offrir cette tasse de café.
Elle protesta, mais si mollement qu'il osa commander deux chartreuses.
—Je suis si heureux de causer un instant avec vous, si je ne vous importune pas.
—Mais non, fit-elle, le plaignant d'être si timide, et puis, cela n'engage à rien, n'est-il pas vrai?
—Oh! certainement. Vous êtes attendue, sans doute ?
— Non. Pourquoi ?
— Parce que je vous aurais demandé... il fait si beau. La campagne doit être ravissante. nous aurions pu...
—Eh bien! vous voilà lancé, au moins. Une partie de campagne, avec
un garçon que je ne connais pas.
— Oh! une partie de campagne! Je ne suis pas si ambitieux. Voilà, j'ai mon auto devant la porte, si cela vous avait amusée, nous aurions fait un tour en Seine-et-Oise. On y respire un meilleur air qu’à Paris et je vous aurais ramenée à l'heure que vous auriez voulu. C'était si simple, puisque vous m'aviez dit que vous n'étiez pas attendue.
Le visage de Suzanne, brusquement, s'était attristé.
—C'est justement parce que personne ne m'attend que je n'ai pas le
droit de sortir ainsi avec le premier.
venu, Que penseriez-yous de moi? Que je suis une petite poule en quête d'aventure? Eh bien! ce n'est pas vrai. Je ne cherche pas d'aventure, je ne veux pas en rencontrer et ce serait malhonnête de ma part de vous laisser espérer. 4 Elle sinterrompit brusquement. Des larmes Jui montaient aux yeux, des sanglots oppressaient sa poitrine,
— Vous avez du chagrin? fit très doucement l'inconnu. Pardonnez-moi si, par ma maladresse, j'ai réveillé en vous un pénible souvenir.
— Pénible. Oh! C'est la loi commune. J'ai aimé, j'ai eu confiance. Au bout de deux ans de ménage, mon mari m'a abandonnée, car je suis mariée.
—Je m'en doutais. Mais pourquoi -vous confiner dans votre chagrin ?
— Parce que jamais je ne recommencerai la douloureuse expérience. Tous les hommes sont égoïstes et menteurs.
— Pas nous, petite madame.
— Oh! vous êtes bien jeune pour raisonner de ces choses, sourit Suzanne à travers les larmes qu’elle s’efforçait de refouler.
Maintenant ils parlaient comme des amis de toujours. Penché au-dessus de la table, Charles Lavenue — il venait de lui dire son nom — tenait entre les siennes la petite main fiévreuse de Suzanne. Elle lui racontait son triste roman, sa fierté, aussi, d’avoir résisté à l'épreuve, d’avoir su s'organiser une existence dont le parjure était exclu à jamais. Lui hochait mélancoliquement la tête. |
— Hélas ! s’il revenait, vous lui pardonneriez encore, car vous l’aimez..
— Je ne crois pas, fit-elle en secouant ses cheveux où le soleil accrochait quelques moirures d'acajou.
Puisqu’ils étaient maintenant des camarades, Charles insista pour ne pas laisser toute cette journée de dimanche sa nouvelle amie en proie à d’attristants souvenirs. Ils quittèrent ensemble le petit restaurant. Un soleil un peu pâle, mais déjà tiède et vivifiant, baignait le banal décor de la place Clichy. Le jeune homme la guida vers le cabriolet peint en gris qui Pattendait. Il y fit monter la jeune femme et s’assit devant le volant.
Silencieusement, ils démarrèrent et prirent la direction du Bois. La foule des beaux dimanches en avaitdéjà envahi les allées et jusqu'aux taillis les plus secrets. Ce ne fut qu'après avoir passé la Seine et gravi les coteaux de Saint-Cloud et de Sèvres que la véritable nature se révéla à eux. Par les vitres grandes ouvertes pénétraient l'odeur des-jeunes pousses et celle de l'herbe, où se cachaient les premières violettes. Parfois, Charles tournait la tête vers sa passagère et lui souriait. Suzanne répondait à ce sourire. Il lui semblait, emportée par la vitesse, que son décevant passé était demeuré làbas, derrière elle. Ses poumons respiraient avidement cet air pur et léger: l'air de Ja liberté et du renouveau,
» + _* Ils avaient pris la très douce habitude de se retrouver tous les dimanches, Charles savait que Suzanne était
Le Film, Montréal, juin 1958
employée dans une banque. De son côté, la jeune femme avait appris que son camarade vivait en principe chez ses parents, qui habitaient du côté de Neuilly, mais qu’il jouissait d’une très grande liberté, étant élève de l'Ecole des Beaux-Arts en qualité de sculpteur. Il possédait aussi, tout en haut de la butte, un atelier où il lui arrivait de coucher quand il se sentait pris par une trop grande fièvre de travail.
Un jour, Suzanne avait consenti à visiter cet atelier avec son nouvel ami. Les moulages qui l’encombraient, les ébauches de glaise recouvertes de linges mouillés l'avaient plus surprise qu'émerveillée; pourtant, l’adorable statuette faite d’après une enfant à peine nubile qui tenait une colombe entre ses petits seins nus l'avait séduite et elle ne cacha pas son admiration.
— Si vous vouliez poser pour moi, avait dit timidement le jeune artiste, je sens que je ferais avec vous un chef-d'oeuvre. Oh! pas un nu, je sais que vous n’y consentiriez pas. Une figure drapée, de nymphe ou de jeune vierge, comme celle-ci, voyez-vous !
Et il lui avait montré un moulage représentant un fragment de la fresque des panathénées que Phidias exécuta afin d'en parer le Parthénon d'Athènes. Une théorie de jeunes filles, noblement drapées dans leurs péplums aux plis droits. Mais Suzanne secoua négativement la tête et Charles n’osa point insister.
Pourtant, auprès de lui qui la respectait autant qu'il l’adorait, Suzanne se trouvait en complète sécurité, Ils se rejoignaient donc dès le matin, déjeunaient ensemble dans une auberge de banlieue. Puis ils poussaient plus loin, parfois jusqu'aux confins de la de la route et se séparaient le soir, non loin de la demeure de Suzanne, sans
avoir même échangé un baiser.
L'été vint et, afin de ne point se priver, même durant un mois, de ces humbles bonheurs près de la femme qu'il chérissait, Charles prétexta son travail pour demeurer à Paris, cependant que sa famille s’installait à Houlgate où il faisait, de temps en temps, une brève apparition, laquelle apparition — Mme Lavenue en fit la première la remarque — n'avait jamais lieu le dimanche. Le jeune homme s'en excusait, affirmant qu’il avait ce jour-là un modèle à recevoir. é
— Un vieux type épatant, mais qui travaille en semaine,
Indulgente à son futur grand artiste de fils, la mère n'avait pas insisté, Cependant Charles devenait plus pressant. Jamais il n'aurait osé propèser à Suzanne de devenir son amie; par contre, il la poussait à reprendre, par un divorce, sa liberté, IL faisait miroiter devant ses yeux la facilité de
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