Le Film (juin 1958)

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* ’ 24 le jeune homme redevenu grave, ma mère n'aurait pu faire sur vous une telle erreur, d'autant plus que vous n'êtes pas une étrangère pour elle. — Que voulez-vous dire, Charles ? — Simplement ceci. J'ai mis ma mère au courant de nos relations, de mes espoirs; car vous me permettez d'en avoir, n'est-ce pas, ma bienaimée ? Suzanne avait légèrement pâli. Ses lèvres tremblaient un peu quand elle demanda : —Ë£t vos parents approuvent? Ils toléreraient, dans leur famille, l'entrée d’une femme qui ne possède rien, d’une femme qui a deux ans de plus que La vous, une divorcée ? — Puisque je vous aime! —Ce n’est pas une raison valable. Surtout dans le monde auquel vous appartenez. — Ne faites pas sur eux un jugement téméraire. S'ils avaient les idées étroites et mesquines que vous leur prêtez, auraient-ils permis à leur fils d'embrasser ce métier d'artiste, un peu effrayant, de suivre une vocation qui l’éloigne évidemment des règles et des conventions bourgeoises ? Mes parents savent que je ne me marierai que selon mon coeur, mais ils ont assez confiance en moi pour être certains que je ne ferai pas un choix indigne, Ils n'auront qu'à vous voir pour me comprendre et me justifier. Me croyervous, maintenant, chérie ? — Je veux vous croire, Charles, mais attendons encore. Je ne suis pas préparée à cette entrevue et, si c’est pour me l’imposer que vous m'avez conduite ici. — Non, non, ne croyez pas cela. J'ai voulu seulement que vous sachiez... — Je sais, maintenant, et je vous remercie. — Alors, dès la rentrée des tribunaux, vous me promettez ? Elle posa sa petite main sur les lèvres du jeune homme et, penchant vers lui son charmant visage auquel le bonheur avait imprimé un éblouissant éclat : — Je vous le promets, mais, je vous en supplie, ne me gâtez pas mes belles vacances en me parlant du vilain pas Tout le jour, ils demeurèrent sur la plage, s'amusant comme des enfants parmi cette foule bigarrée et cosmopolite. Quand Suzanne parut, moulée dans un très simple maillot dont les rayures bleues sur un fond noir rappelaient J'azur foncé des ses iris et la couleur des boucles naturelles qui s'échappaient de son petit bonnet, bien des régards s'attachèrent à la ravissante silhouette, Un peu jaloux, devant ces indiscrets hommages, Char les, cependant, ne pouvait retenir un mouvement de fierté. Il avait pris-le bras de la jolie baigneuse, affirmant devant tous des droits que beaucoup lui enviaient. Le lendemain, d’un commun accord, ils voulurent échapper à la cohue devenue de plus en plus dense. Que leur importait de se montrer le matin au bar du Soleil et le soir dans les salons fastueux du casino? La petite auto les conduirait vers des coins charmants de la campagne normande, agreste et vallonnée. Ils déjeunèrent dans une cour de ferme, sous l’ombre légère des pommiers noueux. Le soir, tandis que le soleil teignait de pourpre toute la nature et jusqu'aux vieux pavés d’Honfleur, ils s’assirent à la terrasse d’un restaurant d’où l’on apercevait le majestueux estuaire de la Seine. . Le crépuscule, doucement, les enveloppa tandis qu'ils achevaient de diner. Au ciel, quelques étoiless’allumaient timidement. Puis, la nuit vint et ce fut, devant eux, le Havre et SainteAdresse piqués de multitudes de points lumineux. Les phares balayaient de leurs larges traînées, les vagues paresseuses et sombres que la marée montante étalait sur les deux rives. Une odeur d’algues venait jusqu'à eux et leurs lèvres gardaient le goût iodé des embruns. Ils se décidèrent à regret à quitter cet endroit où, sans se rien dire, ils avaient vécu en si parfaite harmonie. Quand ils furent au point culminant de la côte, au point où s'élève la chapelle vénérée de Notre-Dame de Grâce, Charles arrêta son auto afin FX 2, que Suzanne puisse, une derhière fois, contempler cette féérie nocturne des deux villes séparées par un large bras de mer. On entrevoyait les lumières à travers le feuillage noir des arbres. La jeune femme s'était avancée.jusqu’au bord de Ja route. Un banc se trouvait proche. Le sculpteur la prit par la taille et la força à s'asseoir. Un merveilleux silence régnait autour d'eux. Sur un talus, un ver luisant venait d'allumer sa petite lanterne verdâtre, On pouvait s'imaginer qu’une minuscule étoile était tombée à leurs pieds. Charles n'avait pas desserré son étreinte. Sur son épaule: il sentait le poids chéri d’une tête qui se renversait. Il n'eut qu’à se pencher un peu et ses lèvres rencontrèrent celles de la jeune femme. Un grand bonheur les faisait frémir tous les deux en cette minute qui avait tant tardé. Quand leurs bouches se quittèrent, un même mot monta des deux coeurs qui battaient si près l’un de l’autre. —Je t'aime, Suzanne avait enfin prononcé l’aveu qu’elle aurait encore voulu retenir, Le Film, Montréal, juin 1958 mais il avait jailli si spontanément de ses lèvres! Maintenant, elle ne regrettait rien. Elle aimait. Que pouvait le mauvais sort contre cette triomphante certitude? Elle aimait comme elle n'avait pas encore aimé de sa vie, car elle venait brusquement de comprendre ce qui différenciait la tendresse d'aujourd'hui, de l’autre, * celle qui avait sombré dans la boue et les rancoeurs. Vierge, elle avait été choisie par Maxime. Certes, elle s'était donnée à lui dans un bel élan de passion. Il était celui qui devait ve nir, celui vers qui allaient ses rêves de jeune fille. Il aurait eu un autre visage qu’elle l’eût accueilli ayec autant de foi, quant à son âme, avaitelle eu le temps de l'interroger ? Femme, il n’en était pas de même. Depuis des semaines, elle observait, elle se défendait &, pourtant, comme _il lui plaisait ce grand garçon timide et sincère qui serait pour elle un sûr compagnon. : À son tour elle l'avait choisi et élu, sachant qu’elle pouvait se confier entre ces bras robustes qui la serraient délicieusement. Sa chair émue appelait l’étreinte qui la ferait sienne et que seuls, sa raison, son respect d’elle-même, lui donnaient le s courage de remettre à plus ‘tard. Une brise plus fraîche agita les feuilles des arbres: Suzanne frissonna. — Vite rentrons, chérie, que vous preniez froid. Ils marchèrent vers\la voiture mais, avant de se remettre en route, de nouveau, ils furent dans les bras l’un de l’autre. ‘ — Notre baiser de fiançailles, mon adorée, murmura le jeune homme, sûr maintenant d’avoir gagné la femme qu’il jugeait indispensable à son bonheur. J'ai peur > © * Depuis ce matin la pluie battait les vitres, tissant derrière le tulle des ri deaux, un réseau de grosses gouttes «2 pressées que le vent, parfois, éparpil: lait. Etait-ce à cause du temps maussade ou/parce que ce dimanche, exceptionnellement, elle devait le passer solitaire, mais Suzanne s'était réveillée en proie à l’un de ces vagues malaises que, parfois, l'on appelle, après coup, pressentiment. 5 Charles Lavenue l'avait, depuis près de quinze jours, avertie. Ce jour se trouvait être l'anniversaire des vingtcinq ans de mariage de ses parents et il ne pouvait décemment manquer à cette fête de famille «déjeuner, dîner, le ban et l'arrière ban des relations. Je ne sais vraiment si je parviendrai à m'échapper ». Elle Jui avait interdit de le faire et de contrarier ses parents. D'ailleurs ne pouvaient-ils se rejoindre le len