We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.
Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.
26
— C’est un peu tard.
Son coeur saignait. Il sentait la douleur d’une blessure ouverte. Et il fallait qu’il raisonnât cette femme qui ne s’en doutait pas, qui ne pensait qu’à elle.
Justement Colette disait :
— Les affaires sont entre nous. Rien ne nous réunira. J’en suis certaine,
Il se força à la regarder fixement, presque durement :
— Croyez-vous que les choses soient si faciles pour votre mari ?
— Vous me le disiez à l'étude Chabreloche : «Tout ce qu’il touche se change en or. »
— Oui. Mais la chance peut tourner. Il faut beaucoup de volonté et d’efforts pour l’enchaîner.
Elle n’avait pas pensé à cela. Et, certes elle ne souhaitait pas voir la chance quitter Max. Est-ce que Jean-Jacques avait des pressentiments ?
Dissimulant sa détresse et sa fatigue, il sourit. Non. Il n'avait aucun pressentiment. Il dit, jouant l’incrédulité :
— Votre imagination vous égare, Colette.
Elle bondit.
— Je vous croyais compréhensif, Jean-Jacques. Je me suis trompée.
— Oh ! si je comprends, affirma-t-il sourdement. Je vous comprends, Colette. Pourtant je voudrais vous mettre en garde contre la folle du logis. Vous savez. Une jeune fille espère beaucoup du mariage. Trop, sans doute. Et elle ne sait quoi. À la moindre désillusion son esprit s’emballe. Il court, il vole à travers les champs. Il est sage d'attendre un peu avant de prophétiser et de juger d'avance les autres et la vie.
La jeune femme n’aimait pas être contredite. Elle fit quelques mouvements pour manifester sa mauvaise humeur. Puis après un moment de réflexion, elle dit:
— Vous me conseillez la patience. Je tâcherai de savoir attendre. Toutefois c’est dur.
Une question brûla les lèvres de l'avocat : « L’aimez-vous donc, Max?» Il pensa avec tristesse qu’il ne devait pas la prononcer.
Il prit la main de Colette, la tint un instant dans les siennes.
— Âllons, dit-il, courage et espoir. Souriez un peu, afin que je retrouve ma petite camarade d'Alençon. Ah! voilà qui est fait. Allez vite rejoindre Alix dans le parc.
Seul, il se laissa tomber sur un banc.
«Si elle savait! pensa-t-il. Si elle savait tout. Elle apprendra la nouvelles dans quelques semaines peut-être Ce sera toujours trop tôt. »
De toute façon, il ne pouvait pas rester à Valvert. Il devait se résigner à une seconde séparation, plus affreuse que la première, à présent qu’un événement était survenu.
Il se promit: «Je partirai après-demin, je ne peux pas brusquer les choses davantages. Et, puisque Alix est entre nous, la situation est correcte. »
Cette résolution le soulagea. D'une main qui frémissait encore du contact des doigts de Colette, il saisit une lettre dans sa poche et se mit à en peser lentement les mots.
Le Film, Montréal, décembre 1960
* * *
Colette prit un journal dans le paquet que Rose venait de lui remettre et l’ouvrit sans enthousiasme.
Soudain, elle ferma les yeux, et, des lèvres pâlies, ce nom tomba plus léger que la brise :
— Jean-Jacques...
Mais bientôt, elle se reprit et, les sourcils rapprochés, la figure tout entière tendue, elle relut l’entrefilet :
Le parrain du Canada laisse un milliard à son filleul.
Stagiaire à l'Etude Chabreloche ,Me Jean-Jacques Sandri vient d’être avisé par un notaire d’Alençon que son parrain, exploitant forestier, établi au Canada depuis de nombreuses années, l’avait institué légataire universel et qu’il. héritait d’une somme de plus d’un milliard de francs.
— Ah! par exemple! s’exclama-t-elle, Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ?
Une fois dans le parc, elle se dirigea d’instinct vers le bosquet où elle avait déjà eu un entretien avec le jeune homme.
Il était là, en effet, la tête baissée, le regard rivé au sol.
Rapidement, il demanda :
— Qu'avez-vous fait de votre amie ?
— Alix? Qu'importe! J'ai besoin une fois encore d’être seule en votre compagnie.
— Les idées sombres ne se sont pas dissipées ?
— Il n’est pas question de moi, mais de vous.
L’avocat s'était levé. Il fit quelques pas comme s’il n’était pas désireux d’entamer la conversation sur un sujet plus direct.
Elle se rangea à ses côtés :
Les chiens sautaient autour d'eux, avec des mouvements des pattes de devant qui marquaient bien leur amitié.
— Jean-Jacques, se décida tout à coup à dire Colette, je viens d’apprendre, par le journal, une nouvelle stupéfiante. C’est un conte de fée. Votre parrain ?.…
— Mon parrain avait émigré au Canada quelques mois après ma naissance. Je le croyais disparu, ma famille n’en ayant jamais eu de nouvelles. Il me laisse, en effet, sa fortune. Il m’a fait son légataire universel avant sa mort, il y a peu de temps, à Ottawa.
Colette joignit les mains en s’exclamant :
— Sainte Vierge! Vous héritez de tout ?
— Mais oui, opina-t-il ; puisque mon parrain en a décidé ainsi.
— Qu'est-ce que vous allez faire? Irez-vous vous-même recueillir votre héritage au Canada ?
— C’est peu probable. Mon notaire s’arrangera avec celui de mon parrain.
— Vous n'avez donc pas envie de connaître l'Amérique ?
Il réfléchit :
— Non, vraiment.
— C’est drôle.
Elle soupira :
— J'aurais aimé visiter des régions inconnues avec mon mari. Mais je sais bien que Max partira toujours sans moi.