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vous faire servir à déjeuner. Moi, je crois que je ne déjeunerai pas.
X
Li U _moins que Jean-Jacques ne se doute de rien. » Telle avait été la première pensée de Colette après qu’elle se fût retirée de la chambre d’Alix.
Machinalement, elle retourna dans le fumoir. Max ne s’y trouvait plus. Elle se sentit abattue. Sa rancoeur s'était évanouie. En son for intérieur, elle se désapprouvait. Mais aussi.
«O solitude, voici ou tu m’as conduite! J'ai invité un garçon en l’absence de mon mari. J'ai invité une jeune fille à la vie modeste pour qui mon luxe est un affront. Quand j'ai souhaité la richesse, était-ce exactement ce que je voulais ? »
Elle donna des ordres à la cuisine, erra dans le jardin du côté de la rivière, profondément déçue et mélancolique.
Quand elle fut fatiguée de marcher sans but, elle rentra. En passant devant la salle à manger, elle vit, assis face à face, Alix et Jean-Jacques. Elle détourna la tête et monta au premier étage. Une sensation étrange la pénétrait.
Dans sa chambre, Max s'était enfermé. Il se changeaïit et préparait un nouveau départ. Il n’était venu à Valvert que pour une courte apparition.
Nerveusement ïil se disait tout en fixant sa cravate: «L'argent, l’ambition !… Que de surmenage! L’amour ? »
Il haussa les épaules. Il n'avait pas le temps.
Quand il se trouva prêt, il décida pourtant de rejoindre sa femme. Un saut.
— Ou est Madame ? demanda-t-il à Rose.
— Madame est montée chez elle, monsieur. Elle m'avait dit qu’elle ne déjeunerait pas. Sans doute a-t-elle réfléchi ; car je viens d’ajouter un couvert. Monsieur trouvera Madame dans la salle à manger.
Furieux, de nouveau repris par sa mâle jalousie, Max entra, l’oeil en feu, dans la pièce o le trio entamait la volaille, dans une apparente sérénité. Il jeta :
— Maître Sandri et vous, mademoiselle Alix, je pense qu'il vous sera agréable de profiter de ma voiture. Un travail urgent me rappelle à Paris.
Jean-Jacques se leva.
— Je vous en prie, fit Max, achevez votre déjeuner.
L'avocat restait debout :
— Monsieur, prononça-t-il; avant de quitter cette salle, je tiens à vous dire ceci: je suis fiancé à Mlle Alix. Je ne demande qu’une chose, c’est de regagner la capitale pour obtenir l’assentiment de mes chefs et de nos familles.
Un grand silence passa. Alix regardait intensément Jean-Jacques. Colette notait la pâleur de son visage, son regard. On aurait entendu voler une mouche dans la salle.
Max prononça enfin :
— Félicitations. Nous allons déboucher une bouteille de champagne.
Le ton était ironique, voire incrédule.
Pourtant il remplit les coupes. Et quand tout le monde y eut trempé les lèvres, il regarda les
*
Le Film, Montréal, décembre 1960
nouveaux fiancés : — Allez! Vous venez! Je vous emmène. L’homme d’affaires débarqua le couple des invités au coin du boulevard de Port-Royal, sur la demande de l'avocat.
— Voulez-vous me suivre un moment au Luxembourg, dit Jean-Jacques à sa compagne? Vous devinez que j'ai besoin de vous parler.
— En effet! approuva Alix.
Le jeune homme chercha son regard et se décida à parler :
— Alix, je ne vous demande pas ce que vous pensez de ma conduite. À une femme comme vous, on doit la vérité tout entière. La paix, sinon le bonheur de Colette, était menacée. Je n’ai pu oublier qu’elle a été ma compagne de jeux, ma seule amie alors que j'étais un garçon timide et sauvage. Dans l’invraisemblable situation où nous étions, il ne m'est apparu qu’un moyen de la sauver des foudres de son mari. Je l’ai employé aussitôt.
Elle le fixait sans répondre. Elle tremblait de tous ses membres. Il reprit :
— Si j'ai été coupable, Alix, vous ne devez pas être victime. Ce que j'ai dit je le maïintiens. À mes yeux comme à ceux du monde, vous allez être officiellement ma fiancée.
Le stagiaire eut un mouvement qu’il prit pour une défaite.
— À moins, fit-il, que vous ne puissiez faire ce sacrifice ?
Des sanglots muets secouèrent Alix, tassée sur le banc.
Il murmura:
— Pardonnez-moi… Sans doute je n’aurais pas dû. Vous êtes une jeune fille si raisonnable. Je vous ai fait mal, à vous la droiture, la pureté même.
Les soubresauts qui secopuaient le corps de la jeune fille diminuèrent. Le regard perdu, mouillé de larmes, elle balbutia :
— Oh! non, je ne veux pas accepter, JeanJacques, vous ne pouvez pas vous figurer comme vous m'avez blessée. Vous ne pouvez pas vous figurer comme je...
Elle suffoqua d'émotion et acheva avec force :
— Jamais, jamais, jamais je n’ai été malheureuse comme en ce moment. Oh ! non, jamais.
L'avocat soupira :
— Voyons, Alix.
Puis soudain, une idée traversa son cerveau, lumineuse comme un éclair. Il s’enquit :
— Dites-moi une chose, Alix; lisez-vous les journaux ? Es
La question la stupéfia. Mais au bout de trois ou quatre secondes elle déclara :
— Jamais. Pourquoi les lirais-je ? Ce n’est pas moi qui changerai rien à rien.
Il la regarda avec une attention grave. Cet air si ouvertement franc le détendait. Il ne se sentait ni triste, ni exalté. Reposé. Et décidé.
Il se rapprocha :
— Ainsi vous ignorez le changement qui est survenu dans ma vie ?
Elle fit avec une douceur subite :
— Un ennui? On vous a rayé de l’ordre des avocats ?
Il ne put s'empêcher de rire.