Le Film (fév 1961)

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30 lui. Et, vis-à-vis de l’autre?... Non... non... le temps. n’est pas venu... Plus tard, pourtant, il faudra bien leur dire... Li] * L3 Des mois encore s'étaient écoulés. Sauf à Lucienne, M. Cormier ne parlait plus de Denise. Seules, les affaires de la distillerie paraissaient l'occuper. Son amitié avec Jean et Lucienne continuait, cordiale. De plus, chez l’homme proche de la soixantaine, une affection paternelle était née pour la fille aînée du ménage Valory, une délicieuse enfant aux yeux bleus. — Ne trouvez-vous pas, demanda-t-il un jour, à Lucienne, tandis que tous deux regardaient l’enfant courir dans le jardin avec ses jeunes frères, que Monique ressemble à Denise ? — Oui, peut-être, fit Lucienne surprise. Denise avait les yeux bruns. — Cependant l’ensemble, l'expression de douceur, aussi, pauvre Denise... Douce, elle l'était, peut-être trop. Voyez-vous, Lucienne, ce qui m'est un remords constant, c’est de ne pas l'avoir rendue heureuse. Une telle confidence de la part de M. Cormier toujours si secret, si maître de lui, surprit Lucienne. Elle ne répondit pas. — Oui, poursuivit-il, depuis que je l'ai perdue, j'ai mûrement réfléchi. Je me suis souvenu de beaucoup de choses, et j'ai compris que j'avais sacrifié sa jeunesse à mon égoïsme, J'avais trente ans de plus qu ’elle. L’épouser était une monstrueuse folie. Je n'ai pas su, ensuite, faire oublier cette différence. J'ai été pour elle, une sorte de sévère «mentor, un maître. Je pense, avec ce même remords, que je ne l’ai jamais entendue rire et vous savez si Denise Aubrée était gaie! Mais Denise Cormier... Elle était comme terrorisée par moi. — C’est vrai, avoua Lucienne. — Et j'étais jaloux, imaginez-vous ! Je suspectais ses rares absences. Pauvre enfant qui n'osait pas sortir sans me le dire à l'avance! Je pensais même, quelquefois, qu’elle pouvait aimer quelqu'un. Je surveillais son courrier. Ah! je ne sais pourquoi je vous dis tout cela, Lucienne. Quelle faiblesse ! Pardonnez-moi. Mais, malgré tout, il reprenait sa confidence : — À mesure que le souvenir de sa présence s'éloigne, je la revois telle qu'elle était lorsque son père me la confia. Dans la pensée de Monsieur Aubrée, c'était afin que je veille à son bonheur, que j'assure son avenir non pas dans une union disproportionnée mais dans un mariage avec un homme qu’elle puisse aimer, avec lequel elle puisse fonder un vrai foyer, une vraie famille. Oui, ces derniers dix-huit mois douloureux m'ont permis de faire un examen de conscience dont je ne sors pas très fier. 11 me semble que j'ai trahi la confiance que mon ami avait mise en moi... A ces aveux bien inattendus, Mme Valory avait ressenti, avec un grand étonnement, une indicible angoisse. — Vous dites que vous étiez jaloux, fit-elle. Si vous aviez appris que Denise avait en toute pureté, un attachement pour quelqu'un digne d'elle et Mais Le Film, Montréal, février 1961 qu’elle vous l’eût ensuite avoué, qu’auriez-vous fait? Auriez-vous accepté de lui rendre sa liberté ? Permis qu'elle réalisât son bonheur ? Lentement, M. Cormier tourna la tête vers Lucienne : — À l’époque dont nous parlons, je n'aurais ressenti qu'humiliation, que jalousie et que ressentiment. Non, je n'aurais pas accepté de renoncer à Denise, surtout de la donner à un autre. Il a fallu l'épreuve de la souffrance, l’affreuse mort de Denise, pour que mon caractère se modifiât. J'aurais eu tort. Mon devoir eût été de m'effacer. Pauvre petite. Et je ne peux plus réparer. Un cri retentit, vibrant, irrésistible : — Si, si, vous le pouvez! M. Cormier regarda Lucienne. Dans les yeux de Mme Valory, un regard d’une intensité insoutenable, un regard un peu halluciné, un peu égaré, qui l’effraya... La respiration de Lucienne était haletante. — Ecoutez! dit-elle. Il est temps... et ce secret m'étouffe ... Peut-être, ensuite, me pardonnerezvous... Longtemps, Lucienne parla. La voix, hâtive, saccadée, elle semblait avoir hâte de tout dire. Enfin elle se tut. — Vous avez des preuves, haleta M. Cormier. Silencieusement Mme Valory fouilla dans une poche soigneusement close de son sac, en sortit plusieurs feuillets dont les pliures se cassaient. — Je ne me séparais pas de cette lettre. Je savais qu’un jour, je vous dirais. Vous la lirez. Quand je l'ai reçue — avec quelle émotion — il y avait : plus de six mois que le drame s'était produit. Pour nous, le coup terrible était porté, le calme était venu. À quoi eût-il servi de revenir sur ce qui paraissait s'imposer, sur ce dont je n'avais pas douté moi-même? Remplacer une tristesse par une autre tristesse! peut-être par une rancune ? « Je me suis tue. J’ai attendu. Le moment n'était . pas venu. Il me semble que j'ai bien fait, puisque... maintenant. vous pourrez comprendre. Me pardonnerez-vous mon silence, Pascal ? M. Cormier ne répondit pas tout de suite. Ce ne fut qu'après quelques minutes qu'il releva la tête jusqu'alors enfouie dans ses mains. — Oui, dit-il, mais je me sens étourdi, comme assommé, Lucienne. Il faudra du temps pour que je m’accoutume. Le temps de réfléchir encore, de trouver une solution, car il faut une solution... — Lisez la lettre, Pascal, lisez-la sans colère, en appelant à vous toute votre énergie et ce qu’il y a de meilleur dans votre coeur. Dans le jardin les enfants avaient cessé leurs jeux. Leur mère les appela: — Il est temps de vous apprêter, mes chéris, dit-elle d’une voix redevenue naturelle. Papa ne va pas tarder à venir nous prendre. Monique, veux-tu aider tes'frères? Ah... voici Jean. De retour d’une consultation pour laquelle il avait été appelé à Grasse, le docteur Valory reprenait sa famille à la villa de M. Cormier où il l'avait laissée deux heures auparavant.