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Le Film, Montréal, février 1961
Tous partirent.
Lorsqu'il fut seul, M. Cormier s’enferma dans son bureau, après avoir interdit qu'on le dérangeât sous aucun prétexte,
La lettre qu’il tenait lui brûlait les doigts... Il déplia les feuillets et il lut...
« Lucienne, cette lettre va te surprendre, t'épouvanter peut-être, comme si un fantôme se dressait devant toi...
« Comment ai-je pu pendant six mois conserver le silence? Je ne savais de quelle manière t’expliquer et puis... il me semblait préférable que toi aussi, tu crûsses à ma mort.
« Tu te souviens, Lucienne, de notre longue conversation, au dernier jour que j'ai passé à Nice? Je t'avais avoué mes plus secrètes pensées, mes plus secrets sentiments et aussi que je n'étais pas heureuse ...
«Tu as su, ce jour-là, la tendresse qui me portait vers un ami des temps heureux, retrouvé quelque temps auparavant, par le plus grand des hasards. Tu as su que son amour pour moi lui faisait désirer passionnément que je Puisse, un jour, venir librement. Et je ne t'ai pas caché que ce serait là, pour moi, le bonheur...
« Mais, je t'ai dit aussi que je considérais comme irréalisable, de reprendre ma liberté. Mon mari n'avait point envers moi de torts graves dont je puisse tirer un argument. Je ne pouvais que lui reprocher son âge, de trop d'années supérieur au mien, et les divergences que ceci amenait entre nous.
«M. Cormier n’eût pas, de son plein gré, renoncé à moi. Je me sentais donc murée dans une existence sans joie, alors que, ailleurs, l'amour et le bonheur pouvaient être mon lot. Tu as vu ma lassitude, mon désir de libération et mon impuissance à agir.
« C’est alors, Lucienne, que, devant moi, la porte de l'évasion s’est brusquement, tragiquement ouverte.
« Quand je tai quittée, ce jour-là, après cette longue conversation qui avdit rendu plus précis encore, ma peine et mon renoncement, je ne suis pas allée directement aux « Galeries de la Plage». J'ai voulu passer quelques minutes en haut de la colline, revoir le «nuage blanc» — ce nuage vers lequel tout mon coeur s’élançait, ce nuage où quelqu’un souhaitait que je vienne.
«Lucienne, ce quart d'heure passé au sommet de la colline m’a sauvée de la plus atroce des morts.
« Quand je suis redescendue en ville, j'ai marché, en me hâtant, à travers les petites rues. Comme j'arrivais aux abords du magasin, un tourbillon de fumée m'est apparu. Puis, ce fut la foule qui sortait pressée, embouteillant les portes, se ruant au dehors avec des cris de terreur, tandis qu'à l’intérieur des flammes commençaient à faire rage, et que des plafonds s’écroulaient.
« C'est à peine si j'ai pu, alors, me rendre compte de ce qui se produisait. Prise dans la mêlée, sujffoquée par l’âcre fumée, affolée par la terreur panique de la foule hurlante, je ne pus qu’à grand
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peine méloigner du lieu du sinistre, gagner au hasard un abri.
«ll n'était bruit autour de moi que de la catastrophe dont trop de gens seraient les pitoyables victimes.
«J'étais bouleversée, tu n'en doutes pus. Je passai la main sur mon front, tächant de reprendre mon sang-froid. Je regardai autour de moi. Où étais-je? Je me trouvais près du port. Brusquement, un appel de sirène retentit, la sirène du bateau desservant le «nuage blanc»... Alors, Lucienne, une sorte de voile s’est levé dans mon esprit, me montrant une éblouissante possibilité. Cette terrible catastrophe à laquelle je venais d'échapper par miracle, wallait-elle pas être pour moi le moyen d'échapper à ma vie douloureuse? Victime de l'incendie, ensevelie dans les ruines, je disparaissais de l'existence de M. Cormier sans que celui-ci puisse éprouver, contre moi, de ressentiment.
«N'y avait-il pas là une indication du destin? Sauvée par le «nuage blanc», n’était-ce pas vers lui que je devais aller ?
«Et mes pas m’avaient, inconsciemment menée devant l'embarcadère d’où le bateau allait partir. Sans réfléchir davantage ... — en étais-je capable dans l'état de bouleversement où je me trouvais ? — telle une hallucinée, attirée par un appel secret. Lucienne, j'ai franchi la passerelle. Quelques minutes plus tard, le bateau s’éloignait du port. Ainsi, poussée par une force irrésistible, encore sous le coup de l'émotion terrible, j'allai vers ma destinée.
« Arrivée à Ajaccio... je...»
M. Cormier chercha la page suivante; il ne la trouva pas. Jugeant sans doute inutile que Pascal Cormier connut la suite du voyage, Lucienne avait supprimé une feuille.
Il prit le dernier feuillet :
«Lucienne, je regarde quelquefois la réalité en face. Je ne suis plus qu’une anonyme, je n'ai plus d’état-civil. Légalement, je n’existe plus. Ici, dans cette solitude, loin des curiosités, dans ce délicieux asile où seuls viennent des gens ignorants et sûrs, cela est sans conséquence. ‘Et pourtant... Comment pourrai-je un jour, régulariser ma situation, reprendre place dans la vie?
«Mais, pourquoi penser à cela? Qu'importe, après tout? Oui, qu'importe? ... Lucienne, ma Lucienne, je vis... je vis... j'existe... j'aime... je suis heureuse.»
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Ce ne fut que très tard dans la nuit que M. Cormier quitta son bureau pour regagner sa chambre. Son pas était ferme. Sur son visage durci, plus trace d'émotion. Il acceptait, sans plus douter, l'extraordinaire révélation. Il semblait avoir pris une grave décision. ’
VII
ÂTIE au faîte du e Monte del Angelo », hauteur dépendant de la chaîne du Mont Rotondo, le sommet le plus élevé de l'ile, la maison était isolée. Le petit village dont elle dépendait se
trouvait à quelques centaines de mètres plus bas,